Monaco-Matin

Une série de photos sur la Roya primée à Houlgate

Pour sa 4e édition, le festival « Les Femmes s’exposent » a attribué son Grand Prix à la photograph­e Jeanne Frank pour un reportage réalisé dans la vallée après la tempête Alex.

- ALICE ROUSSELOT arousselot@nicematin.fr www.divergence-images.com/jeanne-frank

Jeanne Frank était à Sospel au moment de la tempête Alex. Proche de la Roya, et pourtant loin d’imaginer l’ampleur des dégâts – faute d’accès et de réseaux de télécommun­ication pendant au moins 48 heures. La photograph­e indépendan­te s’est dans un premier temps rendue à Roquebilli­ère, sur les traces du couple emporté par la Vésubie. Avant de contacter un confrère à Paris pour qu’il fasse savoir aux équipes du Monde qu’elle était prête à monter dans la Roya, dont les premières nouvelles commençaie­nt à tomber. Le chef photo du journal national ne tarde pas à l’appeler, et à lui donner carte blanche. Alors uniquement pourvue d’un argentique, Jeanne se fait prêter un appareil numérique par son ami Laurent Carré. Équipé d’une toute petite carte mémoire de 2Go. Avec la journalist­e Sofia Fischer – son binôme – elle décide de se rendre dans les villages encore isolés. Et encore si peu médiatisés.

Périple pour atteindre le haut de la vallée

« Nous avons attendu que les gendarmes ne surveillen­t plus pour marcher le long des voies ferrées – de nuit. Après une étape à Saorge, où nous avons dormi chez un habitant, nous sommes partis à pied jusqu’à Tende… et arrivés avant le président. » Pas d’hélicoptèr­e disponible pour atteindre directemen­t la haute Roya. Mais pas de regret non plus.

« À pied, on se rendait compte de l’importance des destructio­ns », commente Jeanne. Précisant avoir fait la rencontre de Julien, habitué aux allers-retours entre Saint-Dalmas, Tende et Fontan. Puis d’une dame de Tende, au centre de secours, qui l’a mise en lien avec des Parisiens prêts à mettre à dispositio­n leur appartemen­t pour chacune de leur venue dans la vallée sinistrée. « À chaque fois nous restions au moins une semaine. L’idée était de faire un suivi, c’est comme ça que j’aime travailler. Nous avons prévu d’y retourner cet été avec Sofia ». La photograph­e a progressiv­ement fait connaissan­ce avec Philippe, parti, depuis, dans le pays basque parce qu’il ne souhaitait pas élever ses enfants dans un paysage désolé. Avec Eric, au lac des Mesches. Avec les habitants de Castérino, restés dans le hameau en dépit de tout. Ou encore avec Sylvain, du musée des Merveilles, avec qui elle échange encore beaucoup. Au point que quand vingt de ses photos ont été récompensé­es par le Grand Prix du festival « Les Femmes s’exposent » d’Houlgate (Normandie) – sur le thème du dérèglemen­t climatique – Jeanne a tenu à ce qu’il écrive un mot pour son discours. « Moi, je n’ai pas grandchose à dire. Je n’ai pas été touchée, j’ai juste fait mon boulot », soulignet-elle. Précisant que Sylvain, en plus d’avoir vécu Alex, milite pour la cause écologique. « J’étais avec lui quand on est allés à Vievola aider Gilles pour nourrir ses abeilles. Sur place, elles étaient presque toutes mortes. Y avait-il eu une trop grosse différence de températur­e ? L’éboulement du tunnel les avait-il effrayées ? »

Des conséquenc­es du dérèglemen­t climatique, visibles dans la vallée, Jeanne n’a pas souhaité montrer que les dégâts. Préférant documenter l’humain. La solidarité. Ainsi peut-on voir, parmi ses images, les enfants qui retournent à l’école par le train, les coiffeuses de Menton venues couper les cheveux à Tende et Saint-Dalmas, la relève des infirmière­s à l’hôpital une fois que les trains italiens ont pu rallier Tende…

La vallée, elle est morte

Aux côtés des habitants, la photograph­e a pu constater des évolutions. « C’est un peu comme pour un décès. Au début, il y a beaucoup de monde, de soutien. On vit dans une sorte d’effervesce­nce. Puis il n’y a plus personne au poste de secours. Et vient un sentiment d’abandon. Mais sur tous les groupes Facebook auxquels je suis abonnée, les gens disent que ça avance. »

Le jour de la remise des prix du festival – créé par l’ancienne chef photo de L’Obs, Béatrice Tupin, soucieuse de rendre hommage aux femmes après avoir fait essentiell­ement travailler des hommes – Jeanne a tenu à préciser qu’il s’agissait d’un travail collectif. « J’avais hésité à envoyer ces photos. Je me disais que ce n’était pas abouti, que ce n’était pas fini pour les gens làhaut. »

La photograph­e espère désormais que ses photos pourront bénéficier d’une projection au festival Visa pour l’image de Perpignan.

Lesdites projection­s ayant pour visée de retracer les événements les plus marquants de septembre 2020 à août 2021. Parce que le sujet est important. Et pour les habitants, à qui Jeanne a implicitem­ent dédié cette série en la nommant « La vallée, elle est morte ». Une phrase répétée comme un triste mantra. Notamment par un habitant, au bar, qui s’était mis à pleurer.

“J’espère que les décideurs se souviendro­nt de ce ‘message’ de la nature pour l’avenir. Car ceux qui ont eu l’opportunit­é de réfléchir à ce cataclysme ont désormais conscience que ce fut un retour de bâton causé par la violence de l’Homme à l’égard du Vivant.”

Sylvain, un habitant à qui Jeanne a demandé d’écrire un mot pour son discours lors de la remise des prix.

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La photograph­e indépendan­te a souhaité évoquer l’humain et pas uniquement les dégâts.
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(Photos Jeanne Frank / Divergence)
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