Monaco-Matin

La succession du Negresco dans l’oeil de la justice

Longuement auditionné­s, les deux anciens présidents du tribunal de commerce de Nice ont été remis en liberté sans être déferrés. Ultime épisode judiciaire d’une affaire qui dure depuis 2013.

- ERIC GALLIANO ET GRÉGORY LECLERC egalliano@nicematin.fr gleclerc@nicematin.fr

Placés en garde à vue durant 24 heures [lire nos éditions d’hier], l’ancien président du tribunal de commerce de Nice, Fabien Paul, ainsi que son successeur, Jean-Marcel Giuliani, ont retrouvé leur liberté mercredi après-midi. « Aucun déferremen­t n’est intervenu à l’issue », a précisé le Parquet national financier (PNF) hier soir à Nice-Matin .Pas de mise en examen à ce stade, donc, pour les deux magistrats niçois qui espèrent, désormais, que cet ultime acte judiciaire marquera la fin du dossier Negresco. L’affaire débute en 2013, lorsque des proches de Jeanne Augier, l’emblématiq­ue patronne du palace niçois qui approche des 90 ans et dont les facultés mentales se sont dégradées, alertent la justice. Pour parer à un éventuel abus de faiblesse, « Madame », comme tous ses salariés avaient coutume de l’appeler, est alors placée sous tutelle et son entreprise sous administra­tion. Mais voilà que les magistrats, à l’origine de cette mise sous protection judiciaire, se retrouvent à leur tour dans la tourmente. En 2018, le procureur de la République d’alors, Jean-Michel Prêtre, avait déjà été perquisiti­onné.

Le PNF saisi de « faits sérieux »

Car c’est désormais le parquet national financier (PNF) qui, depuis Paris, est à la manoeuvre. Il avait été « saisi par le parquet de Marseille de faits jugés sérieux à l’occasion du déroulemen­t de l’administra­tion provisoire de l’hôtel dont j’avais la charge », rappelle Me Nathalie Thomas qui refuse

La justice continue de s’interroger sur l’héritage de Jeanne Augier, l’emblématiq­ue patronne du Negresco décédée en .

d’en dire davantage sur l’objet du délit présumé : « Il ne m’appartient pas d’en juger ni d’apprécier de manière quelconque l’enquête actuelle qui relève du secret d’instructio­n », se borne à déclarer l’administra­trice judiciaire qui a géré le Negresco jusqu’au décès de Jeanne Augier. Un mandat que lui avait donc confié la justice niçoise en 2013... avant de vouloir le lui retirer quatre ans plus tard.

En 2017, le procureur Jean-Michel Prêtre avait estimé que «la justice n’avait pas vocation à gérer un hôtel », que la mission donnée à Me Thomas ne pouvait être « que provisoire » et qu’il était temps, « dans l’intérêt de cette entreprise », de trouver une solution « plus pérenne »... Ce que n’avait guère goûté l’administra­trice judiciaire. Pas plus que les salariés du palace qui s’étaient mobilisés pour s’opposer à la requête déposée par le parquet auprès du tribunal de commerce de Nice, obtenant finalement son dessaisiss­ement au profit de Marseille.

Au profits d’intérêts privés ?

« On sentait bien à l’époque qu’il se tramait quelque chose », estime Pierre Bord, l’ancien directeur général du Negresco. « Mais quoi, pour qui et pour quand ? On n’en avait aucune idée », reconnait-il. « Tout ce que je sais c’est qu’à l’époque il était aussi étrangemen­t question du renouvelle­ment de deux membres du conseil d’administra­tion, poursuit-il. C’était peutêtre la faille. » Le moyen de « court-circuiter le processus » mis en place dès 2005 par Jeanne Augier pour que son oeuvre lui survive au travers d’un fonds caritatif, puisqu’elle n’avait pas d’héritier direct.

« Pour cela, il fallait peut-être mettre un terme à l’administra­tion judiciaire de Me Thomas », s’interroge plus qu’il ne l’affirme Pierre Bord. Le président du tribunal de commerce, Fabien Paul, ainsi que son successeur, Jean-Marcel Giuliani, auraient ainsi pu prendre part à un mécanisme judiciaire au service d’intérêts privés ? Mais lesquels ? Ce sont ceux du groupe Accor qui auraient été mis en avant dans le cadre d’une plainte contre X... Et qui auraient attiré l’attention du PNF. Peutêtre parce que l’un des administra­teurs de ce fleuron de l’hôtellerie est un certain Nicolas Sarkozy. Toujours est-il qu’une enquête a été ouverte en 2018.

Elle a abouti mardi au placement en garde à vue des deux magistrats niçois. Mais pas à leur mise en examen.

Un patrimoine estimé à plus de  millions

Peut-être parce que l’hypothèse d’un éventuel trafic d’influence se heurterait aux mesures de sauvegarde que ces magistrats ont eux-mêmes contribué à mettre en place. Ainsi, une source proche du dossier évoque « la mission de séquestre des parts sociales» qui avait également été confiée à Me Thomas et qui, celle-là, n’aurait jamais été remis en causen, « cela empêchait, de fait, toute cession ».

Et quand bien même ce séquestre aurait été levé, Jeanne Augier n’en demeurait pas moins toujours propriétai­re de 96 % des actions du Negresco. « Pour en vendre tout ou partie, il aurait fallu obtenir une décision de la juge des tutelles », décrypte Me Béatrice Dunogué-Gaffié. Cette autre administra­trice judiciaire a, quant à elle, été désignée pour gérer le fameux « fonds de dotation » qui a finalement hérité de Jeanne Augier à son décès, le 7 janvier 2019. Un patrimoine estimé à plus de 400 millions d’euros. Mais dont le prix aurait pu s’envoler bien audelà tant ce bien est « unique ». De quoi susciter sans doute bien des convoitise­s... Mais peut-être aussi bien des fantasmes. À charge pour le Parquet national financier de distinguer le vrai du faux.

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(Photo François Vignola)
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