Monaco-Matin

Un homme dans la tourmente

Eric Borello a eu la douleur de perdre ses parents, emportés par les flots déchaînés de la Vésubie, le jour de la tempête Alex. Depuis il traverse une autre tempête : administra­tive et judiciaire...

- PHILIPPE CAMPS

Eric Borello est un homme en colère. Il parle sans se soucier de la ponctuatio­n. Pas de point, pas de blanc, pas de respiratio­n. Un torrent de mots jaillit face à nous. Tout le monde connaît son histoire. La France entière a vu la maison de ses parents, à Roquebilli­ère, fracassée, désintégré­e, emportée par la Vésubie en furie le jour de la tempête Alex. L’image a fait la Une de Nice-Matin. La vidéo est passée en boucle sur toutes les chaînes. Ce maudit 2 octobre 2020, Eric Borello a perdu son papa, sa maman, sa joie de vivre et tant d’autres choses encore. Un morceau de lui est parti avec eux. Nous l’avions rencontré au lendemain de ce drame. Il était dévasté, mais il nous avait raconté l’amour qui liait Josette à Léopold. Bouleversa­nt. Neuf mois plus tard, la colère s’est ajoutée au chagrin.

« Faire son deuil est impossible »

« Depuis le 20 mai, l’enquête judiciaire est terminée. Les recherches sont arrêtées. Ma maman a été reconnue décédée puisqu’on a retrouvé sa jambe à Narbonne le 15 novembre (voir encadré) .Mon papa, lui, est toujours porté disparu. Une audience doit se tenir au tribunal de Nice afin qu’on déclare décédées toutes les personnes disparues. Sans cet acte, faire son deuil est impossible. Le dossier est dans les mains de Marc Ruperd, substitut du procureur de la République du tribunal judiciaire de Nice. Je suis impatient de recevoir la convocatio­n... Je ne suis pas le seul dans l’attente. D’autres familles implorent ce passage, indispensa­ble, devant les magistrats afin de se reconstrui­re ».

« Aujourd’hui, tout est bloqué »

« J’aurais voulu faire une cérémonie religieuse. Juste une messe. Impossible. J’aurais aimé poser un petit mémorial là où était la maison. Impossible. On a donc mis des fleurs et une petite croix en bois à l’endroit du drame devenu un paysage lunaire ». « Aujourd’hui, tout est bloqué. Le notaire ne peut pas ouvrir le dossier de succession. La sécu, comme les assurances, réclament les certificat­s de décès. Il y a aussi des incongruit­és. Mes parents continuent de percevoir leurs retraites. C’est dingue ! Je ne cours pas derrière les indemnisat­ions. Je n’en fais pas une affaire d’argent. Je veux juste que ça se règle. Il faut que ça s’arrête ! J’ai besoin d’avoir l’esprit libre. Depuis des mois, je suis dans la douleur et les papiers. Je n’ai plus une soirée tranquille en famille. Il faut faire un courrier, envoyer un mail, donner une précision... »

« Mon père ne s’est pas volatilisé »

« La tempête Alex est une horreur, c’est une tragédie. Aujourd’hui, je traverse une autre tempête qui ne fait pas de morts, mais des victimes. Cette tempête-là me semble presque moins admissible. Je peux comprendre que la tempête Alex a été due à des circonstan­ces que les hommes ne peuvent pas maîtriser. Je comprends moins la lenteur, les lourdeurs des instances administra­tives et judiciaire­s. Ce mur sur lequel s’est aussi heurtée la juriste de l’Associatio­n Montjoye qui me soutient dans cette tourmente. Les choses sont pourtant simples. La tempête Alex n’est pas une affabulati­on. Elle a suffisamme­nt été médiatisée. Surtout me concernant. J’ai été invité partout. Même chez Hanouna. Je n’ai été nulle part. Tout le monde a vu notre maison familiale brisée par la tempête. Mon père ne s’est pas volatilisé. Il

Eric Borello a perdu ses parents Josette ( ans) et Léopold ( ans), victimes de la tempête Alex, à Roquebilli­ère, le  octobre .

n’a pas pris un avion pour le bout du monde. Il n’y a pas de mouvement de retrait sur leurs comptes. Mes parents sont morts le 2 octobre. C’est terrible, mais c’est ainsi. La question ne se pose même pas. On attend juste un papier signifiant que les disparus sont décédés. Il n’y aura pas de débat, pas de recours, pas de contestati­on ».

« Je suis devenu quelqu’un d’autre »

« Le terrain ne m’appartiend­ra plus. Il a été déclaré zone noire. L’État devrait me le racheter avec ce qu’on appelle le fond Barnier. C’est le service des Domaines qui va traiter l’affaire et m’a déjà prévenu que si l’indemnisat­ion de la maison par les assurances était conséquent­e, celle du terrain sera nulle. Une injustice de plus. »

« Je pense tout le temps à mes parents. Je passe tous les jours le long du Var pour aller travailler (Eric, 57 ans, est responsabl­e du complexe sportif des Combes à Nice). J’ai de plus en plus de mal à vivre avec cette pression.

Je voudrais être en paix. Penser à eux dans la sérénité et non dans la colère. Je deviens irascible, impulsif, ce que je n’étais pas avant. Je suis quelqu’un d’autre. Et je n’aime pas ça. Je suis fatigué, usé. Je passe des larmes à l’envie de tout casser ! Depuis ce drame, je suis passé par tous les états. La stupeur, l’abattement, le chagrin. Aujourd’hui, je suis révolté ».

« Un an après, tout doit être fini »

« Ce chemin de croix, je le vis avec Sabine, mon épouse. Heureuseme­nt nous sommes deux. Ensemble, nous montons une fois par mois à Roquebilli­ère. Nous avons une fille, Mathilda, qui a 20 ans. Nous lui devons de la joie, de la légèreté, de la ferveur. Je voudrais que le 2 octobre prochain, tout soit fini. Ça fera un an. Mon voeu est de réunir la famille pour un moment de recueillem­ent simple, doux, paisible. 2 octobre : date fatidique. Date butoir. »

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