Cavada en guerre contre l’impérialisme numérique
L’ancien présentateur de « La Marche du siècle » donnera, jeudi, à Saint-Jean-Cap-Ferrat, une conférence sur la souveraineté numérique de l’Europe. Selon lui, « rien n’est encore perdu » Droit voisin : enjeu majeur pour la presse
Sa Marche du siècle cathodique s’est interrompue en 1999, mais Jean-Marie Cavada n’a jamais cessé d’interroger son époque pour imaginer le futur. Journaliste pendant près d’un demi-siècle, puis député européen de 2004 à 2019, il s’apprête à prendre la présidence du premier organisme de gestion collective (OGC) du droit voisin de la presse [encadré ci-contre].
A ce poste, il sera chargé de négocier avec les géants du numérique la juste rétribution des contenus journalistiques distribués sur le Web. Un chantier colossal qui, à ses yeux, est aussi un enjeu majeur de civilisation.
Dans combien de temps l’OGC sera-t-il en ordre de marche ?
Nous allons faire en sorte d’aller très vite. Pour être efficace, il faut d’abord évaluer la valeur des contenus captés par les plateformes numériques, négocier puis organiser la redistribution des sommes collectées. Pour cela, nous nous appuyons sur l’expérience et l’expertise de la Sacem(), l’un de nos partenaires, qui fait cela depuis des décennies dans le domaine de la musique.
L’OGC va défendre les intérêts des éditeurs de presse magazine, d’information spécialisée et en ligne.
Quid de la presse quotidienne nationale et régionale ?
Les éditeurs que vous me citez ont négocié des accords séparés avec Google, titre par titre, il y a plus d’un an. Ils sont liés pour trois années. Au terme de cette période, nous espérons qu’ils nous rejoindront. Ma première mission, c’est de rassembler tout le monde. Il est évident que plus
« Si cela continue, dans dix ans, la presse sera à ramasser à la petite cuillère », s’inquiète l’ancien journaliste, ex-député européen.
nous serons nombreux, plus nous serons forts face aux Gafam().
Selon vous, la survie de la presse française est en jeu...
C’est évident. Plus de la moitié de la recette publicitaire a été vampirisée par les moteurs de recherche et les réseaux sociaux. Ils ne participent pas à la production d’information, mais ils récoltent les fruits de leur diffusion ! C’est une situation intolérable. Si cela continue, dans dix ans, la presse sera à ramasser à la petite cuillère...
Au-delà de la presse, vous affirmez qu’il en va de la souveraineté de l’Europe ?
Il en va de sa souveraineté numérique, donc de sa souveraineté tout court. L’Europe doit se donner les moyens de résister aux géants américains du numérique. Songez que, depuis une loi de , le gouvernement des Etats-Unis peut avoir accès à toutes les données stockées par les entreprises outre-Atlantique.
Vous parlez d’impérialisme numérique...
Il s’agit d’un monopole voulu, construit avec la bénédiction d’un Etat pour dominer le marché mondial. Oui, le terme me paraît tout à fait approprié.
L’Europe a-t-elle encore les moyens d’imposer sa loi ?
Oui. On l’oublie parfois, mais l’Union européenne représente le marché le plus important de la planète. Il faut que l’Europe investisse, se donne les moyens et parle d’une seule voix. C’est difficile. Mais la volonté politique existe, donc rien n’est perdu.
1. Société des auteurs, des compositeurs et des éditeurs de musique.
2. Gafam : acronyme qui désigne les géants américains du numérique (Google,Apple, Facebook, Amazon et Microsoft)
◗ Conférence de Jean-Marie Cavada, jeudi 9 septembre à 19 heures à la salle Charlie-Chaplin, quai Lindbergh, à Saint-Jean-Cap-Ferrat. Organisée dans le cadre des par le Mouvement européen des Alpes-Maritimes, la Maison de l’Europe Côte-d’Azur-Var et le Rotary Beaulieu Côte d’Azur. Tarif : 15 euros par personne (35 euros avec cocktail dînatoire). Réservation sur www.rotarybeaulieu.org ou par téléphone : 06.86.84.96.69.
La création d’un « droit voisin » au droit d’auteur de la presse a été formalisée par une directive européenne adoptée le
mars . Cette disposition permet aux éditeurs et agences de presse d’être rémunérés pour la réutilisation de leurs productions par des moteurs de recherche comme Google, ou des réseaux sociaux comme Facebook. La France a été la première à transposer le texte européen le juillet .
« L’information coûte cher, expliquait Jean-Marie Cavada en . Une entreprise de presse qui dépense de l’argent pour faire fonctionner une rédaction, imprimer et distribuer un journal, doit pouvoir être rémunérée par ceux qui font commerce de ses contenus. »
Ce nouveau cadre légal a permis d’ouvrir des négociations difficiles. Le bras de fer juridique avec Google s’est soldé, en juillet dernier, par la condamnation du géant numérique à une amende de millions d’euros pour ne pas avoir négocié de «bonnefoi» avec les éditeurs. L’Autorité de la concurrence doit se prononcer, dans les prochains mois, sur la question d’un éventuel abus de position dominante de Google. Dans l’intervalle, le nouvel organisme de gestion collective du droit voisin se réunira pour la première fois dans la seconde quinzaine de septembre.