Monaco-Matin

Une jeune garde pour une défense en mission

- THIERRY LÉVÊQUE/ALP

Ils sont une trentaine d’avocats de ce qui est vu comme le « Diable » : le groupe des 20 accusés des plus graves attentats commis en France depuis 1945. Ils vont faire face durant huit mois à un véritable mur, 1 800 parties civiles, assistées par des centaines d’autres avocats, un bloc de douleur et de chagrin, survivants traumatisé­s, parents endeuillés. La défense aura devant elle surtout trois magistrats de l’accusation, Camille Hennetier, Nicolas Le Bris et Nicolas Braconnay, qui parleront au nom d’une société ébranlée depuis les attaques de 2015. Dans ce contexte, les cinq ans d’instructio­n n’ont déjà pas été très calmes pour les conseils des suspects. Le ténor lillois Frank Berton, menacé de mort et insulté publiqueme­nt tant qu’il représenta­it Salah Abdeslam, seul survivant du commando de tueurs, a finalement jeté l’éponge, plus ou moins évincé par son client au profit d’une jeune consoeur, Olivia Ronen, 31 ans. Le Lillois n’était de toute façon pas très chaud à l’idée de représente­r un accusé refusant de discuter d’un système de défense et même de s’exprimer. « Je ne serai pas le pot de fleurs de Salah », a dit Me Berton.

Sans s’avancer sur le détail du dossier, Me Ronen a déclaré sur les ondes de France Inter vouloir faire comprendre que « ceux qu’on qualifie de terroriste­s sont des gens communs, des gens comme nous, qui à un moment déraillent ».

Insultes et menaces de mort

William Bourdon et Yassine Bouzrou, deux autres pénalistes chevronnés, ont eux aussi quitté le dossier avant le procès. De nombreux avocats belges seront en revanche à Paris pour défendre les survivants du groupe radicalisé de la ville de Molenbeek, près de Bruxelles, à l’origine des attaques. C’est le cas de Me Stanislas Eskenazi, conseil de Mohamed Abrini, ami d’enfance des frères Abdeslam et considéré comme un personnage-clef du groupe.

« C’est le procès d’une vie pour qui aime ce métier. Il faudra humilité et responsabi­lité pour exprimer la parole de la défense sans griffer aucune partie civile », analyse Me Eskenazi, 40 ans, qui dit avoir subi insultes et menaces de mort, ce qui l’a amené à se retirer des réseaux sociaux. La jeune garde française de la défense

La salle dans laquelle se tiendra le procès à partir d’aujourd’hui a été construite spécialeme­nt pour l’occasion.

entend individual­iser l’examen des cas et donc combattre l’idée de l’accusation qui voit dans le box un «groupe» terroriste. « Tous les accusés doivent bénéficier de la présomptio­n d’innocence. Notre rôle va être très compliqué, mais il faudra rappeler qu’il est mieux pour tout le monde que des innocents ne soient pas condamnés », rappelle Raphaël Kempf, 37 ans, avocat de Yassine Atar, supposé soutien du groupe criminel, qui se dit innocent. Les avocats de la défense ne se sont pas concertés pour un système de défense commun, pour la bonne raison qu’ils ont des positions très diverses. « On juge des hommes, on ne fait pas une catharsis nationale, même si c’est ce que certains voudraient faire. C’est le procès des accusés, pas une audience pour les parties civiles », prévient Delphine Boesel, 47 ans, avocate de Hamza Attou, accusé d’avoir exfiltré Salah Abdeslam de Paris le soir du 13 novembre. Me Boesel a déjà obtenu l’abandon de l’accusation de terrorisme à l’instructio­n.

« On ne défend pas l’acte, mais l’homme »

Commis d’office au début de l’affaire, les anciens « secrétaire­s de la conférence », élite du barreau pénaliste de Paris formée après un concours d’éloquence annuel, seront bien représenté­s dans la défense, comme Léa Dordilly, 35 ans, qui défend l’Algérien Adel Haddadi, combattant envoyé de Syrie pour le 13-Novembre mais intercepté en Autriche.

« J’ai accepté une mission de service public, comme un médecin qui fait son internat. Notre marge de manoeuvre est faible, mais il est acquis qu’on ne défend pas l’acte, mais l’homme ». Elle se dit heureuse d’avoir appris son métier dans un moment particulie­r et historique de la justice pénale française, dont elle peut être fière, selon elle.

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(Photo AFP)

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