Monaco-Matin

Un député croque les mots laids de l’écriture inclusive

L’Antibois Eric Pauget a écrit au président de la République, en version « bilingue », pour dénoncer l’essor de cette graphie qui « gangrène notre société ». Une linguiste lui répond

- LIONEL PAOLI lpaoli@nicematin.fr

M «ixe li Présidenxe di li Républix, li langue françaiz, consacrexe par li Constituti­onz, est aujourd’hui menacexe par di mouvementz universita­irez… »

Ne vous fiez pas aux apparences : cette lettre, signée par le député Éric Pauget et adressée à Emmanuel Macron, n’est pas le fruit d’une soirée trop arrosée. Elle a été rédigée en version « bilingue » pour alerter le Président, non sans humour, sur « l’essor de l’écriture inclusive qui gangrène notre société. » Cette méthode, qui consiste à modifier les mots en plaçant, entre des points-milieu, la terminaiso­n du féminin (« agriculteu­r·rice·s », « artisan·e·s », «commerçant·e·s») afin de mettre les deux sexes sur un pied d’égalité, l’inquiète.

« Protéger notre belle langue de ces dérives »

Pour l’édile antibois, « la langue française est menacée par des mouvements universita­ires et associatif­s portés par ceux qui désirent la fourvoyer. [...] Ce mouvement qui confine à l’idéologie la plus délétère [...] fragilise les fondements les plus sacrés qui cimentent notre République. » Le parlementa­ire prie instamment le chef de l’État de « protéger, par des décisions fortes, notre belle langue de ces dérives. » Hier après-midi, l’ancien premier adjoint de Jean Leonetti précisait le contexte de sa missive : «Je n’étais pas spécialeme­nt au fait de cette problémati­que. J’en ai pris conscience, cet été, en discutant avec un stagiaire qui prépare l’Ena. Il m’a expliqué qu’on poussait les étudiants à adopter cette forme d’expression ! C’est intolérabl­e. » Éric Pauget admet avoir « passé deux ou trois semaines », avec son équipe, pour « traduire » son texte en « version inclusive ».

« C’est poussé à l’extrême, sourit le député, mais c’est volontaire pour attirer l’attention. »

« Ce courrier c’est n’importe quoi ! »

Sur ce point, mission accomplie. Diffusée hier, à l’aube de la Journée mondiale de l’alphabétis­ation, sa lettre ouverte a fait le buzz. Jusqu’à attirer l’attention de Julie Neveux, normalienn­e, maître de conférence­s en linguistiq­ue à la Sorbonne, auteure de Je parle comme je suis (Grasset).

Qui ne mâche pas ses mots : «Ce courrier, c’est n’importe quoi ! Une parodie, une caricature absolue. Un seul terme est issu des propositio­ns de certains partisans de l’écriture inclusive. »

Mi-amusée, mi-agacée, la spécialist­e trouve « dommage que cette question fasse une nouvelle fois l’objet d’une récupérati­on politique. On ne fait pas avancer un débat en suscitant des sentiments négatifs avec des mots qui font peur – ‘‘menace’’, ‘‘danger’’... Il faut aussi rappeler que ‘‘l’idéologie délétère’’ dénoncée est, tout de même, fondée sur l’égalité entre les hommes et les femmes. »

« Le français va continuer à évoluer »

Pour Julie Neveux, « Éric Pauget est complèteme­nt hors sujet. Il n’a jamais été question d’enseigner l’écriture inclusive aux enfants. Son utilisatio­n n’est suggérée que pour les courriers collectifs à visée utilitaire – les offres d’emploi par exemple. C’est une option qui n’est imposée à personne. »

À propos de notre langue « consacrée par la Constituti­on » qui «mérite d’être préservée » selon l’édile, la linguiste rappelle qu’elle n’a «jamais cessé de se réinventer. » « Éric Pauget cite Jean de la Fontaine, conclut-elle. Je vous invite à lire les éditions originales des Fables pour mesurer combien le français a évolué depuis le XVIIe siècle. Et ça va continuer, que ça nous plaise ou non. »

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(Photo Sébastien Botella) Pour Eric Pauget, « ce mouvement fragilise les fondements les plus sacrés qui cimentent notre République ».

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