SÉBASTIEN SANJOU SUBLIME LE TERROIR VAROIS
De sa cathédrale étoilée, Le Relais des moines, aux Arcs-sur-Argens, le chef sublime les produits du Haut Var au littoral. Rencontre avec un Zébulon atypique, fourmillant de projets.
La cuisine, jusqu’à son adolescence, Sébastien Sanjou ne voulait pas en entendre parler. Pourtant, depuis cinq générations, sa famille embrassait les métiers de bouche. Goulument. Il était donc évident que le petit dernier mettrait lui aussi, un beau jour, la main à la pâte...
Et ce qui devait arriver, arriva. À croire qu’on ne renie pas le sang qui coule dans nos veines. Lui ne s’explique pas ce soudain virage entrepris vers ses 15 ans. Le chef, son café serré liquidé, évoque «un
déclic ». Comme le bruit d’une clé dans la serrure. Pour s’ouvrir les portes du lycée hôtelier de Biarritz.
Timide, le Basque (à l’héritage copieux) n’en fait pas des caisses. Tient son rang. Écoute. Apprend. Reproduit les gestes. Justes. Se tanne le cuir. Grandi. Se teste. Tel l’oisillon sortant du nid. Jusqu’à l’extinction des feux. La fin du cursus. Le départ incertain... L’étoilé s’en souvient comme si c’était hier. « Au moment où j’allais faire mon apprentissage à La Glycine, établissement que mes parents avaient acheté à Saint-Aygulf, mon père m’annonce qu’il veut s’arrêter. » Le voilà en piste. Sans filet. «À aider ma mère. » Avec une pointe d’amertume sur les papilles. Un voile sur ses inspirations naissantes. « Ce n’était pas la restauration dont je rêvais. » Le jeune coq de Bigorre se met dès lors en quête d’une nouvelle maison. Dont il ne serait pas locataire, mais bel et bien propriétaire. Un maître des lieux, décisionnaire de A à Z. De la fourche à la fourchette !
Il n’a que 19 ans lorsqu’il tombe nez à nez avec cette bastide du XVIe siècle, nichée sur les hauteurs des Arcs-sur-Argens. Presqu’un coup de foudre. Une folie. Une matière brute à réveiller. Façonner. « J’ai dû batailler pour l’acheter. Je n’avais pas les moyens. » Pugnace, soutenu mordicus par sa maman –
« toujours à mes côtés » – le jeune cuisinier ouvre enfin en 2002 le portail de ses délices. De son église, devenue cathédrale, baptisée Le Relais des moines.
Respectueux du terroir varois
« J’avoue que je n’ai pas un parcours dans les clous, comme on dit. J’ai fait des bêtises ici au début. Mais j’ai bossé. Progressé. » Jusqu’à se tailler une solide réputation. Jusqu’à décrocher, après la lune, une étoile au Michelin. Sa fierté.
« J’y ai toujours pensé. J’ai suivi les conseils de Jacques Maximin et d’Alain Ducasse. Une chance. Et au
bout de 10 ans, je l’ai eue ! » Sans aller contre nature. Sans vendre son art culinaire au diable affamé. Sans ronds de jambes. En étant dans le partage d’une cuisine contemporaine et respectueuse de son terroir d’adoption. Varois. Une cuisine avec du sens. Du goût. Qui ne se limite pas à des vers alambiqués tracés sur une carte. Pour faire genre. Tendance. L’agneau a été élevé et aimé, làhaut, à la ferme des Palets, à SaintJulien-le-Montagnier. Le rouget de roche a été pêché, en bas. En Méditerranée. La tomate de pleins champs a été cueillie mûre. Puis
magnifiée et servie dans la foulée. Ces produits, Sébastien les a sélectionnés avec soin. Passion. Ils sont l’âme de ses charmes d’envoûtement. «Dénicher les bons producteurs demande énormément d’énergie. Nous partons du Haut Var jusqu’au littoral. C’est notre fil conducteur. Celui de notre cuisine. Lisible. Nette. Aux goûts marqués. Simples. Ce qui n’est pas si simple. »
Des projets d’auberge, d’hôtel authentique
Le « je » de sa trajectoire fulgurante a cette fois fait place au « nous ». Le « nous » de son équipe. « Sans elle autour de moi, je ne suis rien ! Dans ce métier, ce qui me plaît, m’anime, c’est de former des jeunes. De faire évoluer des talents. Qui passent parfois de commis à chef. Avant de s’envoler. Ailleurs. C’est comme un jeu. En fait, je suis un peu un sélectionneur... »
Un sélectionneur au four et au moulin. Un jour aux Moines .Un autre au Trente trois à Paris, encore un à La Voile d’or, à Saint-JeanCap-Ferrat, où il pose aussi sa patte en cuisine. En perpétuel mouvement. En réflexion. En anticipation. « Je déteste la routine. »
Si bien que lorsqu’il n’est pas le nez dans le fumet d’un plat, Sébastien est le regard fixé sur un plan. De l’après pour le Relais.
« Dans ce métier, ce qui m’anime, c’est de former les jeunes, de faire évoluer des talents »
« On va construire un hôtel, à l’image de l’architecture du restaurant. En pierres. Il y aura dix suites juniors et deux suites. Comme ça, on pourra recevoir la clientèle plus longtemps chez nous. »
Il n’a pas également abandonné l’idée d’ouvrir un établissement dans son autre Sud. Celui de ses racines « euskadiennes ». «Jeleferai un jour. J’en suis convaincu. J’attends une opportunité. » Le zébulon, sur le qui-vive, a en outre un projet d’auberge – « avec un de mes
chefs » – très certainement dans la campagne arcoise. «Un peu une cantine. À la cuisine plus accessible. Une sorte de bistrot de partage. Il n’y a quand même pas que les étoilés dans la vie. » Foi de Basque varois. À la fois généreux et tête de lard. Un mélange délicieux en somme...