MIRACULÉS DU BATACLAN
Ce soir-là, le couple de Monégasques a frôlé la mort Valentina et Adrien racontent leur vie d’après
On était en couple depuis six mois. On vivait ça légèrement... Jusqu’à ce soir-là. » Ce soir-là, c’était le 13 novembre 2015. Valentina et Adrien passaient « une excellente soirée » dans la fosse du Bataclan, emportés par la fièvre rock des Eagles of Death Metal. La fureur de vivre. Puis les détonations. Le silence de mort. Une mort qui les a frôlés, mais épargnés. Valentina et Adrien le savent : ils sont des miraculés.
Ce couple de trentenaires, désormais mariés, suit depuis Monaco le procès des attentats de Paris, via les médias et la webradio réservée aux parties civiles. Valentina, Italo-Belge de 35 ans, est née en Principauté. Adrien, Francilien de 34 ans, l’y a rejointe un an après le 13-Novembre. « Ce devait être l’inverse... » Mais le couple a préféré laisser Paris derrière lui.
« Une deuxième chance à la vie »
Les voici six ans plus tard, attablés à une terrasse du port de Fontvieille. Posés. Lucides. Ils sont sortis du Bataclan indemnes - physiquement du moins. «Onaeu une chance infinie », estime Valentina. Le jeune couple se trouvait près de l’entrée de la salle de concert. Les terroristes sont passés tout près, tuant aveuglément. Valentina et Adrien étaient venus avec quatre amis ; tous en ont réchappé. « Nous étions entourés de cadavres. C’est incompréhensible que ce ne soit pas tombé sur nous », s’interroge encore Adrien.
La mort, ils l’évoquent pudiquement, sans la nommer. « Je l’attendais. Je la visualisais. À chaque détonation, je me disais : Celle-là, elle est pour moi », confie Adrien. Valentina, elle, crispait son corps « pour que ça [lui] fasse moins mal... Et elle n’est jamais venue. » Alors la vie a eu « une deuxième chance ». Même si, après ça, «toutaun goût différent ».
Le syndrome de Lazare, lot commun des survivants. « On est vivant, mais on est tellement triste... Et on s’en veut tellement ! » Le fameux « Pourquoi eux et pas moi. En fait, il n’y a pas de justice. » Si, il y en a une. Celle des hommes. Le procès du siècle s’est ouvert mercredi devant la cour d’assises de Paris. Valentina et Adrien comptent parmi les 1 800 parties civiles. Ils n’iront pas. Surtout pas, insiste la jeune femme aux bras tatoués. « Je n’ai aucune envie de voir ça. Voir un visage fermé, un visage noir... Voir la mort. » Ils vont donc suivre les neuf mois d’audience à distance. Mais de près.
« Je n’ai que du mépris »
Adrien suit l’ouverture du procès avec un regard affûté, longuement documenté. « Je n’ai que du mépris », lâche-til au sujet des quatorze accusés présents. «Je suis préparé à ne rien attendre. Peutêtre certains d’entre eux sont-ils innocents. Mais s’ils ont fourni des armes aux terroristes, ils sont coupables tout autant ! Ils n’avaient qu’à être moins cons... » Troublant effet miroir. Choc de trajectoires. « C’étaient des jeunes de notre âge » ,remarque Valentina. Adrien est né à Courcouronnes (Essonne), en 1987, comme Samy Amimour, le tueur abattu par la police au Bataclan. Là s’arrête le parallèle. « Ce sont des paumés » , résume Valentina. Le couple aimerait comprendre. Sans excuser. « Rien ne peut justifier ce qu’ils ont fait, insiste Adrien. Parmi les 1 500 personnes présentes au Bataclan, aucune ne leur avait fait directement du mal. »
Les premiers jours d’audience ont été marqués par les provocations et le prosélytisme djihadiste de Salah Abdeslam. Adrien soupire. « Si c’est pour dire ce genre de choses, je préférerais qu’il se taise... Je pense qu’il n’est pas fanatisé. Il est juste bête. Il se dit soldat, mais ça reste un déserteur ! »
L’unique survivant du commando de Paris s’est plaint de ses conditions de détention. « Il se dit traité comme un chien ? Mais je ne le considère plus comme humain ! Pour moi, il a perdu ce statut », tranche Adrien. Voilà pourquoi il n’a « rien à lui dire ». Valentina, elle, « aimerait lui faire comprendre l’horreur de ce qu’il a fait ».
Leurs avocats respectifs, Me Olivia Chalus-Pénochet et Gérard Baudoux, du barreau de Nice, ont toute leur confiance pour porter leur parole de victimes. Dire leurs blessures invisibles. Leur lente reconstruction. Les cercles concentriques du terrorisme. Valentina rend hommage à sa mère, fidèle confidente post-attentat, ébranlée par ce procès. C’est sans doute parce que leurs proches ont su trouver les mots justes que le couple ne souffre pas de stress post-traumatique. Même si Valentina continue à consulter un psy.
« Je dis plus souvent Je t’aime »
Surtout, le fait d’avoir vécu le 13-Novembre en couple «a probablement aidé. Beaucoup de gens ont souffert de ne pas pouvoir partager ce qu’ils ont vécu. » Les attentats de Bruxelles, Manchester et surtout Nice ont rouvert les cicatrices. Mais pas compromis leur élan résilient. Leur mariage à Monaco, en 2018, a été une ode à la vie. À l’essentiel. Pour Valentina, « les petits tracas de la vie n’ont plus d’importance ». Adrien, lui, se surprend à dire « Je t’aime » à ses parents « plus souvent qu’avant ».
Il salue l’organisation du procès, le ton donné par le président Périès. Il en attend « des peines lourdes, très lourdes ». Valentina, elle, songe aux victimes qui nourrissent de fortes attentes, espère « que cela leur apportera quelque chose ». Tous deux ont bien retenu la mise en garde du psychologue militaire : «Il faudra accepter que des questions restent sans réponse ».