Monaco-Matin

MIRACULÉS DU BATACLAN

Ce soir-là, le couple de Monégasque­s a frôlé la mort Valentina et Adrien racontent leur vie d’après

- CHRISTOPHE CIRONE ccirone@nicematin.fr

On était en couple depuis six mois. On vivait ça légèrement... Jusqu’à ce soir-là. » Ce soir-là, c’était le 13 novembre 2015. Valentina et Adrien passaient « une excellente soirée » dans la fosse du Bataclan, emportés par la fièvre rock des Eagles of Death Metal. La fureur de vivre. Puis les détonation­s. Le silence de mort. Une mort qui les a frôlés, mais épargnés. Valentina et Adrien le savent : ils sont des miraculés.

Ce couple de trentenair­es, désormais mariés, suit depuis Monaco le procès des attentats de Paris, via les médias et la webradio réservée aux parties civiles. Valentina, Italo-Belge de 35 ans, est née en Principaut­é. Adrien, Francilien de 34 ans, l’y a rejointe un an après le 13-Novembre. « Ce devait être l’inverse... » Mais le couple a préféré laisser Paris derrière lui.

« Une deuxième chance à la vie »

Les voici six ans plus tard, attablés à une terrasse du port de Fontvieill­e. Posés. Lucides. Ils sont sortis du Bataclan indemnes - physiqueme­nt du moins. «Onaeu une chance infinie », estime Valentina. Le jeune couple se trouvait près de l’entrée de la salle de concert. Les terroriste­s sont passés tout près, tuant aveuglémen­t. Valentina et Adrien étaient venus avec quatre amis ; tous en ont réchappé. « Nous étions entourés de cadavres. C’est incompréhe­nsible que ce ne soit pas tombé sur nous », s’interroge encore Adrien.

La mort, ils l’évoquent pudiquemen­t, sans la nommer. « Je l’attendais. Je la visualisai­s. À chaque détonation, je me disais : Celle-là, elle est pour moi », confie Adrien. Valentina, elle, crispait son corps « pour que ça [lui] fasse moins mal... Et elle n’est jamais venue. » Alors la vie a eu « une deuxième chance ». Même si, après ça, «toutaun goût différent ».

Le syndrome de Lazare, lot commun des survivants. « On est vivant, mais on est tellement triste... Et on s’en veut tellement ! » Le fameux « Pourquoi eux et pas moi. En fait, il n’y a pas de justice. » Si, il y en a une. Celle des hommes. Le procès du siècle s’est ouvert mercredi devant la cour d’assises de Paris. Valentina et Adrien comptent parmi les 1 800 parties civiles. Ils n’iront pas. Surtout pas, insiste la jeune femme aux bras tatoués. « Je n’ai aucune envie de voir ça. Voir un visage fermé, un visage noir... Voir la mort. » Ils vont donc suivre les neuf mois d’audience à distance. Mais de près.

« Je n’ai que du mépris »

Adrien suit l’ouverture du procès avec un regard affûté, longuement documenté. « Je n’ai que du mépris », lâche-til au sujet des quatorze accusés présents. «Je suis préparé à ne rien attendre. Peutêtre certains d’entre eux sont-ils innocents. Mais s’ils ont fourni des armes aux terroriste­s, ils sont coupables tout autant ! Ils n’avaient qu’à être moins cons... » Troublant effet miroir. Choc de trajectoir­es. « C’étaient des jeunes de notre âge » ,remarque Valentina. Adrien est né à Courcouron­nes (Essonne), en 1987, comme Samy Amimour, le tueur abattu par la police au Bataclan. Là s’arrête le parallèle. « Ce sont des paumés » , résume Valentina. Le couple aimerait comprendre. Sans excuser. « Rien ne peut justifier ce qu’ils ont fait, insiste Adrien. Parmi les 1 500 personnes présentes au Bataclan, aucune ne leur avait fait directemen­t du mal. »

Les premiers jours d’audience ont été marqués par les provocatio­ns et le prosélytis­me djihadiste de Salah Abdeslam. Adrien soupire. « Si c’est pour dire ce genre de choses, je préférerai­s qu’il se taise... Je pense qu’il n’est pas fanatisé. Il est juste bête. Il se dit soldat, mais ça reste un déserteur ! »

L’unique survivant du commando de Paris s’est plaint de ses conditions de détention. « Il se dit traité comme un chien ? Mais je ne le considère plus comme humain ! Pour moi, il a perdu ce statut », tranche Adrien. Voilà pourquoi il n’a « rien à lui dire ». Valentina, elle, « aimerait lui faire comprendre l’horreur de ce qu’il a fait ».

Leurs avocats respectifs, Me Olivia Chalus-Pénochet et Gérard Baudoux, du barreau de Nice, ont toute leur confiance pour porter leur parole de victimes. Dire leurs blessures invisibles. Leur lente reconstruc­tion. Les cercles concentriq­ues du terrorisme. Valentina rend hommage à sa mère, fidèle confidente post-attentat, ébranlée par ce procès. C’est sans doute parce que leurs proches ont su trouver les mots justes que le couple ne souffre pas de stress post-traumatiqu­e. Même si Valentina continue à consulter un psy.

« Je dis plus souvent Je t’aime »

Surtout, le fait d’avoir vécu le 13-Novembre en couple «a probableme­nt aidé. Beaucoup de gens ont souffert de ne pas pouvoir partager ce qu’ils ont vécu. » Les attentats de Bruxelles, Manchester et surtout Nice ont rouvert les cicatrices. Mais pas compromis leur élan résilient. Leur mariage à Monaco, en 2018, a été une ode à la vie. À l’essentiel. Pour Valentina, « les petits tracas de la vie n’ont plus d’importance ». Adrien, lui, se surprend à dire « Je t’aime » à ses parents « plus souvent qu’avant ».

Il salue l’organisati­on du procès, le ton donné par le président Périès. Il en attend « des peines lourdes, très lourdes ». Valentina, elle, songe aux victimes qui nourrissen­t de fortes attentes, espère « que cela leur apportera quelque chose ». Tous deux ont bien retenu la mise en garde du psychologu­e militaire : «Il faudra accepter que des questions restent sans réponse ».

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(Photo J.-F. Ottonello) Valentina et Adrien, miraculés du -Novembre, face au Rocher sur le port de Fontvieill­e.
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(Photo archives Patrice Lapoirie) Le pénaliste niçois Gérard Baudoux, avocat de deux victimes des attentats du -Novembre.

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