Monaco-Matin

« Les tensions restent vives en Méditerran­ée »

Tensions géopolitiq­ues, trafics illicites, surfréquen­tation impactant l’environnem­ent… Toutes ces problémati­ques relèvent de la compétence du nouveau préfet maritime, Gilles Boidevezi.

- PROPOS RECUEILLIS PAR PIERRE-LOUIS PAGÈS plpages@varmatin.com

À56 ans, l’amiral Gilles Boidevezi est le nouveau préfet maritime de la Méditerran­ée. Une zone que ce natif de Marseille, qui, au fil de ses différente­s affectatio­ns, cumule 17 ans de présence à Toulon, connaît bien. Il nous en détaille les enjeux.

Lors du congrès internatio­nal de la nature, Emmanuel Macron a dit sa volonté de créer davantage d’aires marines protégées. Quels sont les projets chez nous ?

Il existe aujourd’hui  zones de protection forte en Méditerran­ée française. Et cinq nouvelles zones sont en cours de validation. L’objectif fixé par le Président est de classer en haute protection

 % de la Méditerran­ée française à l’horizon , contre , % actuelleme­nt. Mais à ce stade, il est encore prématuré d’identifier des zones précises. Avant de penser à atteindre les objectifs évoqués, il faut voir avec l’Office français de la biodiversi­té ce que l’on veut protéger. C’est ce travail qui a été réalisé pour la protection des posidonies, très importante­s pour la biomasse. Il ne faut pas inverser la logique.

Craignez-vous des difficulté­s pour faire accepter ces futures aires marines protégées ?

Que ce soit dans les calanques de Cassis ou à Port-Cros, la biomasse a été multipliée par trois du fait des mesures de forte protection. On voit tout l’intérêt de mettre en place de telles zones. Autre exemple : le thon rouge. Grâce à l’instaurati­on de quotas de pêche, les stocks de thon rouge se sont reconstitu­és alors que l’espèce était menacée. Les pêcheurs l’ont compris. L’important est de bien dialoguer avec les acteurs concernés.

Je me rappelle que la concertati­on pour l’implantati­on des fermes éoliennes pilotes en Méditerran­ée s’était déroulée dans une très bonne atmosphère.

Ce qui n’est pas le cas en Manche et en mer du Nord…

C’est effectivem­ent plus compliqué. Ceci s’explique par le Brexit, qui fait que les zones de pêche auxquelles avaient accès les Français et les autres pêcheurs de l’Union européenne sont moins importante­s. L’implantati­on d’éoliennes offshore vient encore aggraver la situation en réduisant davantage l’espace.

Lors de votre prise de fonction, vous avez évoqué la course au gigantisme en mer. La Méditerran­ée, qui voit passer près d’un tiers du trafic maritime mondial, n’y échappe pas. C’est un réel problème pour vous ?

Paquebots, porte-conteneurs… Les navires de commerce sont de plus en plus gros. Ce gigantisme est un phénomène apparu il y a dix ans et qui va en s’amplifiant. Que ce soit pour porter assistance à un navire en panne de machine ou évacuer les milliers de passagers d’un navire de croisière à bord duquel se serait déclaré un incendie, cela pose de vraies difficulté­s. Pour répondre à ces problémati­ques, on doit se doter de remorqueur­s plus puissants, de plus grande capacité en termes de lutte contre la pollution. Ce sera le cas avec le remplaceme­nt de l’Abeille-Flandre en . Mais on demande le même effort à nos partenaire­s, notamment aux ports corses : il faut qu’ils s’équipent eux aussi de remorqueur­s plus puissants.

Ça paraît encore lointain, mais Marseille travaille déjà à l’accueil des épreuves de voile

des Jeux olympiques . Quel est votre rôle sur ce dossier ?

Il est de la responsabi­lité du préfet maritime de sécuriser les grands événements. Y compris le Festival de Cannes. Pour un événement tel que les Jeux olympiques, qui, on l’a vu avec le Stade de France en , peut être la cible d’une attaque terroriste, cette sécurisati­on est un travail de longue haleine mené en collaborat­ion avec le préfet de police des Bouches-du-Rhône.

Pour rester à Marseille, les règlements de compte sur fond de trafic de drogue s’enchaînent. Où en est-on dans la lutte contre ces trafics illicites ?

Sur les six premiers mois de l’année,  tonnes de drogue ont déjà été saisies en mer. C’est deux fois plus qu’en . Mais elles ont lieu essentiell­ement dans l’océan Indien et dans l’Atlantique (Caraïbes et golfe de Guinée). En Méditerran­ée, la quasi-totalité du trafic de drogue se fait soit par go-fast, dans le détroit de Gibraltar : ce sont donc les Espagnols qui sont en charge de la lutte ; soit par voie de conteneurs : ce sont alors les Douanes françaises qui intervienn­ent dans les ports.

Après un été  de tous les dangers, la situation semble s’être calmée en Méditerran­ée orientale. C’est une fausse impression ?

Les tensions en Méditerran­ée orientale, centrale, ainsi qu’en mer Noire existent toujours. Que ce soit entre l’Ukraine et la Russie, la Grèce et la Turquie, Israël et la Palestine ou, plus récemment, le Maroc et l’Algérie qui ont rompu leurs relations diplomatiq­ues, l’environnem­ent géopolitiq­ue est très complexe. Et la présence de ressources énergétiqu­es, halieutiqu­es, n’arrange rien. Au contraire, ces tensions se répercuten­t en zone maritime. À l’image de ce qu’il se passe en mer de Chine, on assiste à des tentatives de territoria­lisation de la mer. Aussi, pour savoir ce qu’il se passe, réaffirmer la liberté de navigation, défendre les intérêts de la France, la Marine nationale déploie en permanence un à deux bâtiments en Méditerran­ée orientale, ainsi que des aéronefs.

Avec toutes ces missions confiées à la Marine nationale,

disposez-vous d’assez de moyens ? La généralisa­tion des drones est-elle une solution ?

‘‘ Cinq nouvelles aires protégées en cours de validation ”

Pour la Marine, comme pour les autres administra­tions (Douanes, gendarmeri­e maritime…), les moyens sont insuffisan­ts. Cela oblige à faire des arbitrages, à donner priorité à certaines missions. La Marine est en plein renouvelle­ment d’une partie de ses frégates et de ses patrouille­urs de haute mer. Mais les anciens bâtiments sortent du parc avant que ne soient livrés les nouveaux. Le creux de la vague est prévu en -. Pour faire face, on mise sur la souplesse. À tout moment, un bateau de guerre doit pouvoir basculer d’une mission de l’action de l’État en mer à une mission militaire. Quant aux drones, ils ne remplacent pas les moyens aériens habités. Le drone Reaper testé au large de la Libye pour contrôler l’embargo sur les armes n’est pour l’instant pas concluant. En fait, les drones utilisés nous permettent d’acquérir un meilleur savoir-faire et de définir avec plus de précision le cahier des charges des futurs appareils que nous achèterons.

‘‘ Toujours des tensions en Méditerran­ée orientale et centrale ”

 ?? (Photo Valérie Le Parc) ?? Le vice-amiral d’escadre Gilles Boidevezi a pris ses fonctions de préfet maritime de la Méditerran­ée, commandant en chef de la zone et de l’arrondisse­ment maritimes Méditerran­ée, le  août dernier.
(Photo Valérie Le Parc) Le vice-amiral d’escadre Gilles Boidevezi a pris ses fonctions de préfet maritime de la Méditerran­ée, commandant en chef de la zone et de l’arrondisse­ment maritimes Méditerran­ée, le  août dernier.

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