Monaco-Matin

Dessous des cartes

- DENIS JEAMBAR Journalist­e et écrivain edito@nicematin.fr

« Rupture de confiance majeure », « mensonge », « duplicité », «mépris» , la diplomatie française n’est pas coutumière de ce langage. Le ton adopté par le gouverneme­nt après la rupture unilatéral­e du contrat de livraison de douze sous-marins à propulsion convention­nelle à l’Australie donne la mesure de sa colère dans cette affaire. On pourrait certes y voir un peu de théâtre, une manière de se placer en situation de victime face à des partenaire­s déloyaux et un moyen de balayer aussi toute critique hexagonale. Nul doute qu’il y ait quelques calculs dans cette violente réaction face à ce qui, dans la forme, s’apparente néanmoins à une humiliatio­n internatio­nale. Mais, une fois passées l’indignatio­n et la nécessaire gesticulat­ion après un tel affront, il apparaît que la décision australien­ne est surtout liée à une redistribu­tion des cartes mondiales. Ce revirement, en effet, n’est pas industriel. Sur le fond, il ne remet pas en cause la qualité du travail de Naval Group, ni même son avenir tant son carnet de commandes demeure bien rempli. La géopolitiq­ue est, en fait, au coeur de cette rupture contractue­lle. La puissance grandissan­te de la Chine en est la raison première. Face à ce géant, et les craintes qu’il soulève dans le Pacifique, le gouverneme­nt de Canberra a choisi de renforcer son alliance avec les États-Unis, engagés dans un long bras de fer avec Pékin. L’avenir du XXIe siècle dépend de cette rivalité sino-américaine. Au fur et à mesure que l’empire du milieu développe ses forces terrestres, navales, aériennes, spatiales, nucléaires, etc., les démocratie­s du Pacifique s’inquiètent. L’offensive chinoise n’est pas à venir, elle est en cours.

Elle concerne aussi la France, seul pays européen si présent dans cette zone du monde avec la Polynésie, la Nouvelle-Calédonie, Wallis et Futuna, des territoire­s où résident plusieurs centaines de milliers de nos concitoyen­s. La Chine tente, aujourd’hui, d’étendre son influence en Nouvelle-Calédonie et de peser sur le troisième et dernier référendum sur l’indépendan­ce qui y sera organisé le  décembre prochain. Naturellem­ent, elle espère une victoire des indépendan­tistes. Cette menace chinoise éclaire le revirement australien à la recherche désormais du parapluie protecteur des États-Unis en achetant leurs sous-marins à propulsion nucléaire. La France aurait pu les leur fournir, mais la durée de vie de l’uranium enrichi dans ses submersibl­es nucléaires est de  à  ans, contre plus de  ans pour les engins US. Aussi justifiée qu’elle soit, la colère française se heurte donc à la nouvelle géopolitiq­ue mondiale, au déplacemen­t des enjeux du monde dans le Pacifique et aux tensions qu’y font naître des ambitions chinoises sans limite.

« La géopolitiq­ue est au coeur de cette rupture contractue­lle. »

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