Dessous des cartes
« Rupture de confiance majeure », « mensonge », « duplicité », «mépris» , la diplomatie française n’est pas coutumière de ce langage. Le ton adopté par le gouvernement après la rupture unilatérale du contrat de livraison de douze sous-marins à propulsion conventionnelle à l’Australie donne la mesure de sa colère dans cette affaire. On pourrait certes y voir un peu de théâtre, une manière de se placer en situation de victime face à des partenaires déloyaux et un moyen de balayer aussi toute critique hexagonale. Nul doute qu’il y ait quelques calculs dans cette violente réaction face à ce qui, dans la forme, s’apparente néanmoins à une humiliation internationale. Mais, une fois passées l’indignation et la nécessaire gesticulation après un tel affront, il apparaît que la décision australienne est surtout liée à une redistribution des cartes mondiales. Ce revirement, en effet, n’est pas industriel. Sur le fond, il ne remet pas en cause la qualité du travail de Naval Group, ni même son avenir tant son carnet de commandes demeure bien rempli. La géopolitique est, en fait, au coeur de cette rupture contractuelle. La puissance grandissante de la Chine en est la raison première. Face à ce géant, et les craintes qu’il soulève dans le Pacifique, le gouvernement de Canberra a choisi de renforcer son alliance avec les États-Unis, engagés dans un long bras de fer avec Pékin. L’avenir du XXIe siècle dépend de cette rivalité sino-américaine. Au fur et à mesure que l’empire du milieu développe ses forces terrestres, navales, aériennes, spatiales, nucléaires, etc., les démocraties du Pacifique s’inquiètent. L’offensive chinoise n’est pas à venir, elle est en cours.
Elle concerne aussi la France, seul pays européen si présent dans cette zone du monde avec la Polynésie, la Nouvelle-Calédonie, Wallis et Futuna, des territoires où résident plusieurs centaines de milliers de nos concitoyens. La Chine tente, aujourd’hui, d’étendre son influence en Nouvelle-Calédonie et de peser sur le troisième et dernier référendum sur l’indépendance qui y sera organisé le décembre prochain. Naturellement, elle espère une victoire des indépendantistes. Cette menace chinoise éclaire le revirement australien à la recherche désormais du parapluie protecteur des États-Unis en achetant leurs sous-marins à propulsion nucléaire. La France aurait pu les leur fournir, mais la durée de vie de l’uranium enrichi dans ses submersibles nucléaires est de à ans, contre plus de ans pour les engins US. Aussi justifiée qu’elle soit, la colère française se heurte donc à la nouvelle géopolitique mondiale, au déplacement des enjeux du monde dans le Pacifique et aux tensions qu’y font naître des ambitions chinoises sans limite.
« La géopolitique est au coeur de cette rupture contractuelle. »