A Saorge, Liliane cultive des géants verts
Dans la vallée de la Roya, le jardin de Liliane Fracassi réserve quelques surprises de taille. Telles ces courgettes géantes dont le spécimen le plus fou pourrait atomiser tous les records.
C’est une découverte fracassante. Un trésor hors sol dont se réjouit sa sémillante inventrice, Liliane Fracassi. Une sexagénaire de modeste appétit, dont il se dit qu’elle est une cuisinière de génie. Elle a cueilli à Saorge, dans la vallée de la Roya, une dizaine de courgettes trompettes qui ont porté sa renommée aux confins du haut pays. Une récolte herculéenne. Des fruits cyclopéens. Dont le spécimen le plus vigoureux a toute sa place dans les annales de la cucurbitacée : un mètre soixante-cinq ! C’est impressionnant, en toutes lettres. Dans le panier aussi. Du lourd. Du costaud. Assez pour une sacrée fricassée. En ratatouille, en soupe, en gratin, à la poêle, le surplus en tourte et le reliquat en farci. Les paris sont ouverts, et aussi les livres de recettes.
Proportions gargantuesques
Question d’abondance, ces petits plats-là seront de proportions gargantuesques, à l’échelle d’une incongruité botanique, variété malabar. Silence, maousse. Il y en aura pour tout le monde.
Sans doute même un peu plus. De son jardin extraordinaire, « étroit, mais où l’on plante un peu de tout », Liliane n’est pas peu fière. Généreuses restanques dont la prodigalité, cette année, a été favorisée par un séjour à l’étranger. « Quinze jours en Crète. Nous, on avait 40° alors qu’ici, il faisait froid. Ma soeur, qui venait arroser, n’a pas fait attention. À chaque fois que je l’appelais, il pleuvait. Si bien que tout est passé par-dessus le mur, personne n’a rien vu. »
Balance cassée
Des courgettes comme des asperges. « La plus grande est presque aussi haute que moi. Un peu tordue, alors peut-être bien qu’elle fait 1,68 m, je ne sais pas… » Seul son poids lui est inconnu : « Avant de partir en vacances, mes enfants ont voulu peser leurs valises. Comme ça, ma balance est cassée. Si vous voulez savoir, je vais essayer de m’en trouver une, et je vous dis quoi. »
Sa courgette géante, Liliane Fracassi veut bien la donner à qui voudra la manger. « On est deux, à la maison. Qu’est-ce que j’en fais, moi ? » Son trophée, après s’être paré d’un beau vert, commence à avoir « la peau dure, dure, dure ». Mais dedans, la chair reste orangée, gage de longévité, explique-t-elle, «onpeutmêmela garder pour l’hiver ».
Par le passé, des tomates coeurde-boeuf phénoménales, « grosses, mais grosses », ont déjà récompensé ses efforts. «On n’avait jamais pensé à faire une photo », dit-elle à regret. Cette fois, oui : « J’en ai envoyé à mon fils Nicolas, qui vit à Bruxelles, en lui disant, malheur, regarde la courgette ! Tout de suite, il m’a demandé de la mesurer, et il a tout envoyé au journal. »
De telles bizarreries de la nature, son fils n’a guère l’occasion d’en croquer, en Belgique. « C’est un temps pourri, là-bas », décrit-elle sans envie. « Mais il travaille pour une créatrice de mode, alors ici, il ne trouverait pas. » Quand Nicolas revient, elle lui mitonne surtout « des pâtes à la main, aux oeufs, aux herbes », pour faire plaisir car Liliane, pour sa part, n’aime pas consacrer trop de temps aux agapes.
« On dit que l’air est pollué, l’air ci, l’air là, mais moi je ne trouve pas. La campagne est saine », dit Liliane
qui a même disposé quelques ruches en montagne. Avec le recul, elle se dit que sa courgette aurait peut-être encore poussé. « Mais enfin, ça devenait trop énorme, quand même. »
« On rigole ça fait du bien »
Nul ne peut exclure l’hypothèse d’un record. Au terme d’investigations digne d’un réseau antivax aux aguets, on peut affirmer que la trompette de Saorge surclasse d’une dizaine de centimètres celle cultivée dans l’Allier par les frères Fradin, en 2017. Laquelle pulvérisait les 95,5 cm précédemment et ridiculement obtenus ; mais c’est loin et les sources fiables commencent à manquer. Selon le Guinness, aucune n’a encore dépassé les 2,52 m recueillis dans l’Ontario en 2014. En attendant, « tout le monde rigole », se félicite Mme Fracassi, « et ça fait du bien ». Le gérant de la supérette a fait circuler sur Facebook une image avec ce message : « Dujardin à Tende et Liliane au jardin ». Allusion au film que Brice de Nice tourne dans le coin. Ce qui l’a beaucoup amusée : « Ça fait du bien, un peu de baume au coeur. Parce que sinon, c’est triste, en ce moment. »