Monaco-Matin

Tende : « On était si bas, on ne peut que rebondir »

Des familles toujours relogées, précarisée­s ou parties. Mais aussi de nets progrès et des villageois qui croient en l’avenir. Après un an de galères, la haute Roya est à la croisée des chemins.

- CHRISTOPHE CIRONE ccirone@nicematin.fr

C’était « une jolie maison », perchée sur les hauteurs de Castérino. Ce n’est plus qu’un « amas de terre et de pierres ». Michel Jacquemoux, 69 ans, nous montre les photos de sa résidence secondaire achetée il y a trois ans. Il avait « tout refait luimême pendant sept mois ». Sa maison est la seule à avoir été détruite à Castérino. Ce hameau de Tende souffre surtout de la destructio­n des accès routiers.

Ce jeudi, Michel et Jacqueline Jacquemoux ont quitté Menton pour la haute Roya. Une réunion avec le « préfet Tempête » et le maire attend les sinistrés au cinéma de Tende. Ils y croisent Mauricette Francart et sa fille Muriel. La retraitée a eu 82 ans le 17 septembre. Malheureus­e coïncidenc­e : ce jour-là, la préfecture lui a appris que son immeuble serait rasé. « Un très beau cadeau!» grince l’octogénair­e. Ainsi va la vie pour nombre d’habitants des vallées, depuis la tempête Alex. Entre flou sur l’avenir, ascenseurs émotionnel­s et espoir d’un nouveau départ.

« Un an de galère »

Désormais, Mauricette Francart attend qu’on la « dédommage au plus vite. Pour pouvoir racheter quelque chose. Mais pas dans dix ans, car je ne serai plus là ! » Depuis un an, elle loue un appartemen­t à Fontan, à ses frais. La retraitée éprouve un mélange « de rage, de colère, de chagrin » . Elle ne vit « plus qu’à coups de somnifères ». Jean-Pierre Vassallo, le maire de Tende, recense « une cinquantai­ne de familles relogées. » Il sait l’« angoisse » des

Michel, Patricia, Muriel et Mauricette : regards croisés sur une reconstruc­tion ardue.

villageois. Mais l’édile exhorte à « se projeter vers l’avant. On a eu une bonne saison estivale, même si c’est très compliqué à Castérino. Les associatio­ns ont fait beaucoup. Le retour du train a amené une grosse bouffée d’oxygène. Les travaux sur les routes sont titanesque­s : 5 millions d’euros par mois ! Il y a un an, à cette époque, nul n’aurait pu imaginer qu’on aurait autant avancé... » Si les plaies restent béantes, les signes positifs ne manquent pas. Depuis fin août, fini les convois dans les gorges de Paganin, touchées par une succession de feux de chantier. Au village, la pharmacie a trouvé repreneur. Le cinéma a rouvert. Deux nouveaux jardins d’enfants ont été créés. Rouverte fin avril, la supérette a trouvé son public. « Les clients sont contents, même si certains râlent qu’il n’y ait pas tout comme à Breil », constate la directrice, Laura Perona. Mais voilà : « Les gens sont moins joyeux qu’avant. Ils ont le contrecoup de la tempête. Ça fait un an qu’ils galèrent un peu pour tout... » La galère, Patricia Alunno la voit au quotidien. Elle est responsabl­e de l’antenne du Secours Populaire français, à deux pas de là. Alex + Covid : l’addition est lourde.

« On revient de loin »

À Tende, l’associatio­n suit une cinquantai­ne de familles. « Des sinistrés, mais aussi ceux qui ont perdu leur travail. Beaucoup de familles sont tombées dans la précarité. » Le local regorge de vivres, vêtements, biens de première nécessité.

Patricia Alunno soupire : « On est là pour longtemps. Malheureus­ement. »

En haut de la rue principale, derrière son étal de pizzas et sandwichs, « le Bougnat » voit les choses d’un oeil plus positif. « On revient de très loin, ici, rappelle cette figure du village, barbe drue et t-shirt « M. Cool ». Ça a avancé. Beaucoup, même. Les gars, ils ont bossé ! On ne voyait pas la route avant deux, trois ans. Le 2 octobre, on est quand même restés sans eau, ni électricit­é, ni ravitaille­ment. On voit que le village va mieux. » À la Brigue aussi, « les choses s’arrangent petit à petit. », salue Daniel Alberti, maire de l’autre village de la haute Roya. Celui-ci a été préservé. Mais la Brigue partage avec Tende « les problèmes d’accessibil­ité. Le gros sujet, c’est l’accès à l’Italie [la route du col de Tende reste fermée, Ndlr]. Ça impacte le moral des gens, même si la population va beaucoup mieux. »

L’enjeu : les jeunes

Problème : dans la Roya, la population s’est réduite. En témoigne l’école primaire de Tende : 53 élèves à la rentrée, 30 de moins qu’en 2020. Alex a aggravé la tendance. «Les familles ne s’installent pas faute de travail », observe la directrice, Nathalie Rocchia. Certaines restent. À l’instar de Marie Bonnet, 41 ans. Cette maman s’est « armée de patience, persuadée que ça va repartir mieux qu’avant. On ne nous a pas laissés tomber. On s’en est quand même remis. » Pour autant, elle doute que son petit Victor, 9 ans, passe son adolescenc­e à Tende. « Je ne vois pas son avenir ici... » Reconstrui­re ? Repeupler ? Des jeunes veulent y croire. Tels Clarisse, 31 ans. « Depuis la tempête, des gens sont venus s’installer. Notamment des jeunes, qui ont la volonté de faire vivre nos villages. Il y a un nouvel élan. On a confiance. » Muriel, 49 ans, a vu monter du monde cet été. « Maintenant, il faut qu’ils viennent s’installer, qu’ils amènent du renouveau. Peut-être sortira-t-il du positif de cette catastroph­e ? On ne peut pas aller plus bas. On ne peut que rebondir ! »

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(Photos Sébastien Botella)
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