Monaco-Matin

Saint-Martin-Vésubie : « On subit le contrecoup »

À l’approche du premier anniversai­re du passage d’Alex, l’angoisse étreint toujours les habitants du village. Entre espoir et crainte, ils livrent leur sentiment.

- STÉPHANIE GASIGLIA

Non, je n’ai pas peur lorsqu’il pleut depuis la tempête », soupire Louis, le patron de La Bonne Auberge, située au centre de Saint-Martin-Vésubie. « Vous avez vu le lit de la rivière ? Il peut y couler la Méditerran­ée maintenant ! Par contre, quand il passe un hélicoptèr­e, j’ai toujours un frisson, ça me rappelle les jours qui ont suivi Alex, c’était Star Wars dans le ciel », glisse-t-il. « Maudite tempête »…

« Tous liés, tous soudés »

Louis devient plus sombre. « On a le contrecoup de la catastroph­e, même si on peut dire chapeau au Départemen­t et à la Métropole, on se rend compte que ce qu’il reste à faire est encore colossal. Quand on regarde la place du village, on a l’impression qu’il n’y a rien eu. Quand on s’écarte, les dégâts sont encore tellement visibles… À chaque fois que je monte voir mes parents sur la route du Boréon, je me prends un coup de bambou sur la tête. Je pense à ceux qui ont tout perdu. Tout. Je pense à nos morts… » Bientôt un an. La vie reconstrui­te. Par petits bouts. Et les souvenirs remontent à la surface. Le pire, mais aussi le meilleur. Louis sourit : « L’hôtel était plein ce soir-là. Aujourd’hui, ce ne sont plus des clients mais des amis. Une famille de Paris a d’ailleurs réservé pour le 2 octobre pour que l’on soit ensemble, un an après. Les jours et les semaines qui ont suivi la tempête, on était tous SaintMarti­nois, liés, soudés. J’ai même failli me faire tatouer Saint-Martin dans le dos. Quelle solidarité ! ».

La solidarité, Maryse, connaît. Bénévole au Secours Populaire 06, elle appréhende cet « anniversai­re ». Presque inconsciem­ment. « Il y a quelques jours, il pleuvait, je devais aller à Nice chez le médecin. Je n’ai pas pu, je ne me suis pas sentie, j’ai eu peur, voilà, j’ai peur quand il pleut, c’est bête, non?» murmure-t-elle, le regard vers Agnès, une autre bénévole de cette antenne, lovée au coeur du village, rue Cagnoli. « La tempête est toujours là, dans tous les esprits, dans tous les coeurs. On a les travaux sous les yeux constammen­t, les camions, tout le temps ! » grince Agnès. Et les deux femmes d’insister sur la « pudeur et la dignité »

L'immeuble L'Écureuil va bien être détruit.

des habitants : « Ils en parlent le moins possible. Mais on les connaît tellement que d’un simple regard, on comprend s’ils vont bien ou pas ».

« Rien ne sera plus comme avant »

Avec Mickaël, autre bénévole, ils évoquent tous ces gens qu’ils connaissen­t si bien. « Josette, elle a tout perdu, elle a perdu sa maison. Elle est dans un état de stress… Et Sandra, qui nous dit toujours qu’elle doit repartir de zéro après 60 ans de vie perdue, ou encore Cathie et sa page vierge ouverte devant elle », lâchent ceux qui donnent de leur temps pour les autres.

Sur la place du village, Paul va boire son café du matin. « À chaque fois que je viens ici, j’ai des images qui reviennent. La place envahie le samedi matin par des amis, des voisins, le visage hagard. Et tous ceux dont on n’avait pas de nouvelles. On ne savait pas s’ils étaient encore vivants. Ou si la tempête les avait emportés », marmonne le septuagéna­ire. « Et certains ont été emportés ». Sa voix se casse : «Oncroitque c’est comme avant, mais rien

Maryse, Mickaël et Agnès, du Secours populaire .

ne sera plus comme avant. J’ai deux copains, ils sont en dépression, j’arrive à peine à les faire sortir de chez eux parfois ».

Maryse abonde : « On se rend compte que ceux qui le vivent le plus mal aujourd’hui, ce sont les hommes, ceux qui ont été sinistrés et qui sont relogés dans des appartemen­ts. Avant ils avaient de quoi s’occuper. Le bois, le jardin. Maintenant, ils tournent en rond ».

Les yeux rivés sur L’Écureuil, cet immeuble évacué dans la nuit du 2 au 3 octobre, bordé par Le Boréon, cet habitant du bas du village gifle :

« On vient d’apprendre que plus personne n’y habiterait, et qu’il serait détruit, alors qu’il n’a pas bougé. On ne comprend pas, c’est injuste ». Roger, lui, comprend «le principe de précaution ». « On ne peut plus prendre de risque, si Le Boréon redevient fou, il ne sera pas épargné. Et puis on voit bien qu’il penche, non ? raconte ce SaintMarti­nois d’adoption, qui ajoute : moi, quand il pleut, maintenant, j’ai la poitrine qui se serre, mais je n’en veux pas à la nature, les intrus, c’est nous, finalement ».

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(Photos Jean-François Ottonello)
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