Monaco-Matin

Jérôme Pigeon : « Ma vie d’avant me hante encore »

En résidence tropézienn­e jusqu’à mardi, celui qui s’est affirmé en DJ cosmopolit­e rembobine le fil d’une existence qui l’a vu tourner le dos à son statut de chanteur-coqueluche des années 80.

- LAURENT AMALRIC lamalric@nicematin.fr

Pour paraphrase­r Ce Garçonlà, chanson de 1991 qui fait toujours frissonner, c’est l’histoire d’un garçon né en 1965, ex-Petit chanteur à la croix de bois qui se produisit à Rome devant Paul VI. Il devint Petit Prince au bois rockant, prêt à bouffer le monde tout cru en sautant comme un cabri devant des millions de téléspecta­teurs avec son tube de 1986, Cache-Cache Party.

Un attachant Poulbot des ondes (son père est l’ex-journalist­e Gilles Schneider, désormais Sétois), aussi bien potes de Taxi Girl que de Téléphone, dont on boit les paroles lorsqu’il revient sur «sa vie d’avant ». Au risque de le voir – sans crier gare – fondre en larmes au moment d’évoquer ce qui l’a poussé à raccrocher les guitares pour se réinventer voici 25 ans... Tendresse infinie envers Jérôme Pigeon qui a endossé la panoplie démesurée du rêve et lorgné vers les utopies clignotant­es sans jamais être ensorcelé par la beauté de son apocalypse. Aujourd’hui sur la terrasse du TIGrr, club-restaurant devenu «résidence tropézienn­e » où il enfourche les platines chaque saison depuis 2017, nous faisons face au DJ épanoui qui déroule la pelote à grand renfort d’anecdotes craquantes comme le vinyle.

Bardot au pastis avec Brian Jones

« Le premier soir ici, j’avais trop bu, j’ai cassé l’ordinateur, fait n’importe quoi ! Ils auraient dû me virer, mais ils ont dû déceler quelque chose qui leur plaisait...» débute ce défricheur sonore que sa modestie honore. Car bien loin du pousse-disques interchang­eable, l’artiste qui mixait avec Fatboy Slim au mariage de Ronaldo, a creusé son propre sillon en marge des canons du dancefloor entre Notting Hill Arts Club, Miami, New York, l’Europe et... le Brésil. « Mon truc de base c’est “Eclectic Ladyland”, sourit-il, en hommage à Hendrix. J’ai débuté sous l’hégémonie house qui m’ennuyait. Samba, reggae, electro, rock, funk, drum’n’bass, salsa... Peu importe ! Mon propos c’est de raconter une histoire. Ici par exemple, c’est créer la bande originale de mon fantasme de Saint-Tropez, où Bardot boirait un Pastis avec Brian Jones sur le port. Me faire plaisir tout en étant contagieux. Aller chercher des trucs que les gens ont oubliés et qui font mouche ! » décrit le musicien, aussi bien adepte des Stones, dont l’achat d’Afertmath à Saint-Tropez dans les 70’s « a changé la vie », que de son ami Seu Jorge, jadis produit par ses soins.

À son actif aussi, la création de la Favela Chic à Paris et Londres, où il a habité huit ans, avant de s’établir deux ans à Rio, où ce fan de foot signa des correspond­ances « Coupe du monde 2014 », pour Les Inrockupti­bles.

La fable du « plaisir de perdre » avec Daho

Sa lucidité extrême, sans la moindre coquetteri­e, éclaire d’une façon éblouissan­te un parcours de chanteur in fine abandonné, pour tenir un temps le stand teeshirts des tournées Hallyday. «Un mec d’une humanité folle, même s’il était parfois ingérable ! » se souvient Jérôme, souvent en loge avec l’idole.

De son côté, restent une poignée de singles, trois albums et une dizaine de chansons, dont Confort Moderne, qui dorment paisibleme­nt dans les tiroirs, faute de trouver jadis preneurs auprès des maisons de disques. Lorsqu’on lui demande quel album a subi le sort le plus injuste, il n’hésite pas trop avant de répondre «Le1er, Jonpi (1989), dont je reste superfier ! On l’a fait six mois en immersion avec Dave Allen (producteur de The Cure, Sisters of Mercy, Depeche Mode, Ndlr). Un moment de vie extraordin­aire où je me suis fait voler la guitare de Robert Smith (rires) ! Quant à Cache Cache Party ,jesavais qu’il marcherait, sauf qu’après, la surenchère autour de la signature d’un nouveau contrat m’a coûté ma place chez Mercury-PolyGram », note celui qui en 1987 fut invité par Daho pour un duo majeur sur son 4e album.

« Il m’a téléphoné en me disant qu’il avait écrit une chanson, Pour le plaisir de perdre, en pensant à moi. Avec le recul les paroles de ce titre étaient prémonitoi­res... Moi je voulais être The Clash, mais il y avait déjà l’original, alors à quoi bon ? Et puis j’en avais marre de passer des journées à avoir peur parce qu’on jouait le soir... J’étais insupporta­ble en tournée ! J’en pouvais plus du trac... ça ruinait ma vie. Alors j’ai redémarré bistrotier, avant de m’affirmer en DJ, débarrassé de toute cette mythologie rock oppressant­e puisque je n’en ai rien à foutre des DJ ! Ça m’a finalement ouvert les salles du monde entier, là où avec le rock, je serais resté cantonné à la France comme Téléphone. Maintenant, je suis plus sûr de moi. D’ailleurs, je pense être meilleur DJ que chanteur. Plus novateur en tout cas. J’ai été le premier à Paris à mélanger new wave et samba », analyse-t-il tout en confiant encore faire des cauchemars sur cette terreur de la « panne scénique » qui le hante, au point d’éclater en sanglots...

Prêcheur de « fantaisie »

Puis le quinqua se requinque à l’évocation d’Elvis, 14 mois, Miniman fruit de son union avec Lucie Mazalaigue, nièce de Jean Ferrat et collaborat­rice culture d’Anne Hidalgo. Soit un jeune papa heureux de quatre enfants issus de trois mamans. L’aînée, Paloma, est née de sa relation avec la chanteuse Nina Morato. Ses jumelles, Yasmin et Rubi, sont artistes.

Après Saint-Tropez, Jérôme Pigeon se remettra aux platines parisienne­s. Pigalle, Bus Palladium, Ground Control, Cannibale, ou Cheper et... Perchoir. Prêchant, sans croix de bois, la « fantaisie » contre une réalité « froide et clinique» . Préservé à jamais, sous son galurin où se hérissait autrefois une folle tignasse, de la suffisance qui écorne parfois les stars volatiles de sa corporatio­n platinée.

 ?? (DR) ?? À gauche, avec Étienne Daho, sur la scène du Zénith de Paris en , lors de leur duo Pour le plaisir de perdre. Au centre, Pijon, son groupe de l’époque, et à droite, la pochette du single Cache Cache Party qui a tout déclenché en .
(DR) À gauche, avec Étienne Daho, sur la scène du Zénith de Paris en , lors de leur duo Pour le plaisir de perdre. Au centre, Pijon, son groupe de l’époque, et à droite, la pochette du single Cache Cache Party qui a tout déclenché en .
 ?? (Photo L. A.) ?? À l’Hôtel Ermitage, écrin du clubrestau­rant le TIGrr, où il se produit de juin à septembre.
(Photo L. A.) À l’Hôtel Ermitage, écrin du clubrestau­rant le TIGrr, où il se produit de juin à septembre.
 ?? ??
 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Monaco