Monaco-Matin

Grève de la faim au nom de leur liberté de choix

Travaillan­t à l’hôpital ou dans le secteur privé, l’obligation du pass sanitaire les condamne à une « mort sociale ». Pour s’y opposer Thierry, Chris et Jacinthe ont décidé de jeûner.

- ERIC GALLIANO egalliano@nicematin.fr

Au pied de l’abbaye de Saint-Pons, qui surplombe l’hôpital Pasteur, un drôle de campement s’est installé il y a maintenant deux semaines. C’était le 15 septembre dernier, date butoir de l’ultimatum posé par le gouverneme­nt : « ou t’es vacciné, ou tu es viré ». Chris n’y voit rien d’autre qu’un odieux « chantage » . Cet aide-soignant l’a vécu comme « un coup de massue ». La goutte d’eau qui a fait déborder le vase de son exaspérati­on déjà bien plein : « le mal-être à l’hôpital s’était installé bien avant cela, reconnaît-il. Mais là, ça a été la guillotine. »

Chris, vacciné, il ne veut pas l’être. Thierry, agent de sécurité incendie au CHU, non plus. « C’est pas qu’on est contre les vaccins, mais c’est notre liberté de choix », explique ce quinquagén­aire, par ailleurs pompier volontaire. « Alors on s’est dit qu’on allait faire une action dans la paix et la non-violence. On s’est installés là », poursuit Chris en désignant le barnum qui leur sert de base de vie. Sur une corde, sèche du linge. Un peu à l’écart se trouvent leurs « chambres » pliables. De simples tentes. « Quelque part on s’est installés dans notre futur statut puisqu’on nous tue socialemen­t en nous empêchant de travailler », souffle Chris qui pourtant assure qu’il a « rencontré plus d’humanité en vivant ainsi, comme un SDF depuis 15 jours, qu’au cours de toutes ces dernières années passées à l’hôpital ».

Des moments de partage

Les deux grévistes de la faim ne sont pas seuls. D’ailleurs Jacinthe, elle aussi aide-soignante mais « dans le privé » , les a rejoints depuis 5 jours dans leur « aventure ». « Au départ j’étais juste passée pour les soutenir, raconte cette mère de famille. Quand j’ai vu qu’ils n’étaient que deux je me suis dit que c’était dommage, qu’il faudrait qu’ils soient plus nombreux. Et puis je me suis dit qu’après tout moi aussi j’étais soignante, que je n’avais qu’à le faire aussi. » Aux côtés de Thierry, Chris et, désormais, Jacinthe, il y a aussi Steven et Franck, leurs deux « anges gardiens », qui s’assurent qu’ils « vont bien »...

Et puis, il y a tous les autres.

Tous « ces inconnus » qui à longueur de journée passent les voir : « des collègues de l’hôpital, des personnes âgées...» Certains leur apportent de l’eau ou des jus de fruits. Tous n’ont pas forcément le même point de vue qu’eux. La discussion s’engage... «Ce sont des moments de partage, de solidarité et de fraternité, souligne Chris. Des valeurs qui pour moi sont le fondement de la République mais que je ne retrouvais plus dans notre société...» Du moins jusqu’à ce qu’il décide de s’en mettre un peu à l’écart.

« Rien ne justifie une telle violence »

Quand on leur demande ce qu’ils attendent, ce qu’ils espèrent de leur grève de la faim, la réponse n’est pas forcément évidente. « On sait bien qu’on ne va pas changer le monde à deux ou trois », souffle Thierry qui reconnaît que son action est avant tout « un cri de désespoir ». Alors ce qu’il voudrait, c’est peut-être juste que quelqu’un l’entende ce cri. Le sien et celui de tous ces personnels hospitalie­rs qui ont fini par aller se faire vacciner « contraints et forcés », parfois même « en pleurant ». « Juste parce qu’ils n’avaient pas d’autre choix pour garder leur boulot que de se faire inoculer ce vaccin alimentair­e, comme ils l’appellent ».

Pour Thierry, Chris et Jacinthe, « rien ne justifie une telle violence ». « Rien ne justifie qu’on nous traite aujourd’hui d’assassins, sous prétexte que l’on n’est pas vacciné, alors qu’il y a un an les gens nous applaudiss­aient depuis leurs fenêtres », s’insurge Chris qui avoue avoir du mal à vivre cette « fracture » qui, souligne-t-il, s’insinue parfois jusqu’au sein des familles pour les faire voler en éclats. « Rien ne justifie non plus qu’on licencie des gens, sans même leur proposer une solution ou une aide, alors qu’ils ont passé leur vie au service des autres. »

Au nom de Voltaire

En tout cas, à leurs yeux, l’épidémie ne suffit pas. « Je ne suis pas complotist­e, je ne dis pas que le virus n’existe pas ou qu’il n’est pas contagieux, se défend Thierry. Je dis juste qu’il suffit d’allumer la télé pour savoir que si le vaccin réduit les risques, il n’empêche pas d’être contagieux. » Dès lors l’obligation du passe sanitaire pour exercer ne tiendrait plus. Il en veut pour preuve qu’il y a aujourd’hui « des clusters de vaccinés au sein même de l’hôpital » . Sans oublier les « 10 % à 20 % de patients admis en réa et qui pourtant avaient reçu leur double dose ».

Voilà qui mériterait débat, pour Chris. C’est peut-être l’unique chose que recherche cet aidesoigna­nt au travers de cette grève de la faim : « Que l’on se pose un peu, que l’on arrête de réagir à l’émotion, que l’on stoppe les chantages, et que l’on discute vraiment des choses, en toute sincérité. Peut-être que j’ai tort. Je suis prêt à l’admettre », assure-t-il. Mais ce n’est peutêtre pas ce qui importe le plus pour Chris qui cite a fait sienne cette citation de Voltaire : «Je ne suis peut-être pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire. »

Son combat a lui, il le livre depuis désormais 15 jours avec Thierry et désormais Jacinthe.

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