Marchés publics, emploi de complaisance et notes de frais
L’Agence française anticorruption (AFA), après 9 mois d’audit de juillet 2019 à février 2020, estime que la chambre de commerce niçoise n’a, tout simplement, «pas mis en oeuvre de dispositif de prévention et de détection des atteintes à la probité » et que sa gouvernance ignorait même les exigences en vigueur fixées par la loi sur la transparence de 2016, date à laquelle son mandat a pourtant débuté. Si la CCI dispose bien d’une commission de prévention des conflits d’intérêts, le rôle de contrôle qui lui est conféré serait «limité» . Tout comme celui exercé par l’autorité de tutelle qu’est la préfecture de région, censée siéger notamment au sein de la commission de la commande publique. Or, les rapporteurs de l’AFA constatent, « d’après les signatures des PV », qu’en 2018, « sur 11 commissions, elle n’a été présente qu’une seule fois » ! L’absence de garde-fous aurait pu conduire à certaines dérives. Ce qui est reproché à la CCI en trois points.
Deux marchés pour le patron de l’UPE
Le rapport pointe notamment deux marchés : l’un concerne la voirie du port de Nice et l’autre porte sur les travaux de confortement de la digue du vieux port de Cannes. Or, il n’a pas échappé aux inspecteurs de l’AFA que tout ou partie de ces chantiers ont été confiés à des entreprises appartenant au président de l’UPE 06, Philippe Renaudi, qui est aussi élu à la CCI de Nice et qui brigue désormais la présidence de la chambre régionale. Ce qui, à en croire le gendarme français de la corruption, est interdit. À moins de passer par une procédure dérogatoire devant la bien nommée commission de prévention des conflits d’intérêts. L’un des deux marchés n’y a pas été soumis et le second n’a soulevé aucune objection de ses membres élus. Il faut dire que trois d’entre eux siègent également au sein de l’UPE. Y aurait-il eu concussion ? L’intéressé s’en défend. Pour Philippe Renaudi tout cela relève du « fantasme » (lire par ailleurs).
Père et fille au port Vauban à Antibes
Une autre incongruité est soulevée par l’Agence française anticorruption : un contrat de travail si peu orthodoxe que la DRH de la CCI aurait refusé de le signer. Lorsque le directeur du port Vauban à Antibes, qui est aussi le directeur général de la CCI, décide d’embaucher un responsable du pôle événementiel, le 15 mars 2019, en pleine crise Covid… C’est sur sa propre fille que se porte son choix ! Bernard Kleynhoff, l’ancien président de la CCI jusqu’en 2016, avoue avoir « trouvé ça bizarre en découvrant son nom en signature d’un mail d’invitation » et il s’en était d’ailleurs « ouvert très librement » auprès du directeur général Jacques Lesieur. Les inspecteurs de l’AFA, eux, n’étaient pas au bout de leurs surprises puisqu’ils ont également découvert que ce poste avait été pourvu « sans aucune publicité », que le salaire « de 3 331 euros » par mois attribué à la fille du directeur était bien « supérieur aux 1 700 euros bruts initialement prévus », et qu’elle a en outre bénéficié d’une prime « pour respecter l’équité dans l’équipe » de 3 500 euros… Contacté, Jacques Lesieur n’a pas donné suite à nos sollicitations. Mais le président de la CCI estime qu’aucune faute n’a été commise lors de cette attribution de poste.
Des notes de frais trop salées ?
L’Agence française anticorruption souligne également le train de vie des instances dirigeantes de la CCI. « Il suffisait de voir l’Audi A6 du président garée devant les marches du siège, boulevard Carabacel, pour comprendre que nous ne partagions pas tous les mêmes valeurs », souffle un des quelque 430 salariés de la chambre. Les inspecteurs n’ont pas manqué de s’arrêter sur le choix de ce véhicule de fonction qui, selon eux, déroge aux «recommandations du Premier ministre » en la matière et contreviendrait en outre aux règles de gestion dans la mesure où il a fait l’objet d’un contrat de location longue durée. Ce qui serait proscrit. S’il refuse de « commenter » la cylindrée de son successeur, Jean-Pierre Savarino, l’ancien président Bernard Kleynhoff assure que pour sa part il avait « choisi une voiture française », une Peugeot 508 pour laquelle il avait estimé que le rabais de 8 % consenti n’était pas suffisant : « Quand il a fallu la renouveler, j’ai exigé que l’on passe par l’UGAP, la centrale d’achat publique, et, de mémoire, on a obtenu une remise de 34 %. » Au-delà de ce véhicule, les enquêteurs ont découvert que les cartes essence servaient parfois à faire le plein de voitures ou de moto personnelles. Et, que le président et son directeur général se servaient allègrement de leurs cartes crédits corporate, portant leurs frais mensuels à 5 000 euros en moyenne pour l’un et 4 000 euros pour l’autre. Une évaluation surestimée selon Jean-Pierre Savarino qui s’estime victime d’une « entreprise de déstabilisation » en pleine élection (lire par ailleurs).