Monaco-Matin

Des gendarmes « choqués » par les kamikazes du Stade de France

Au procès des attentats du 13-Novembre, des gendarmes postés aux abords du Stade de France pour assurer la sécurité ont raconté hier, très émus, le traumatism­e persistant de l’explosion des kamikazes.

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Une explosion violente me coupe la parole. J’entends des choses glisser au sol autour de moi, sans pouvoir identifier ce que c’est. Je me rapproche (des lieux) pour voir. Un silence de mort s’installe », dit à la barre le chef d’escadron, prénommé Jonathan (1).

Avant de prendre la parole, il a posé son képi sur le pupitre installé face à la cour. Son visage se crispe et sa voix tremble sous le coup de l’émotion. « Je vois le visage de Monsieur Manuel Dias, ses yeux ouverts, il a les mains au sol, agenouillé. » Le chauffeur d’autocar de 63 ans venait de déposer des spectateur­s du match amical qui se jouait entre la France et l’Allemagne. Il a été le seul à trouver la mort dans ces attaques au Stade de France, les premiers attentats-suicides jamais perpétrés en France.

Le soir du 13 novembre 2015, Jonathan était en compagnie de 12 autres membres de la garde républicai­ne, à cheval, chargés d’assurer la sécurité autour du stade.

Avec cinq autres gendarmes, ils sont les premières parties civiles à témoigner devant la cour d’assises spéciale, qui doit entendre près de 350 rescapés et proches pendant cinq semaines. «Je voudrais qu’on évite dans la mesure du possible les redites à la barre », a demandé le président Jean-Louis Périès au début de l’audience.

 morts

Trois explosions ont retenti aux abords du stade, entre 21 h 16 et 21 h 53. Entretemps, les fusillades commencent sur les terrasses parisienne­s et au Bataclan – des attaques simultanée­s qui ont fait 130 morts et des centaines de blessés. À 21 h 20, quand le deuxième kamikaze active sa ceinture, « j’ai peur de mourir à chaque instant, j’ai peur que ça explose n’importe où », dit Jonathan. Une image reste, dit-il. Le «mur du Stade de France », d’où résonnent les applaudiss­ements du match France-Allemagne, les «cris de joie», « inconcilia­bles avec la mort et la désolation autour ».

Des bouts de chair dans les cheveux

Ses collègues défilent à la barre. Ils semblent à fleur de peau, reprennent leurs souvenirs avec la même émotion. « Ce qui me traverse, c’est une onde de choc. Ça ne fait pas peur, ça ne fait pas mal. Et c’est encore plus terrible parce qu’on ne connaît pas », se remémore Grégory, barbu, cheveux grisonnant­s, en tenue également. «Jesuis rentré chez moi j’avais des bouts de chair dans les cheveux. »

Sa voix s’emplit de larmes quand le président lui demande comment il va. À la fin de sa déposition, quand il retourne sur les bancs du public, un camarade, l’adjudant Renaud, le prend dans les bras.

Le 13 novembre 2015, « c’était mon premier jour de reprise après mon congé paternité », avait dit ce dernier à la barre. De la soirée, l’adjudant Renaud, grand brun très mince, se souvient de « l’homme qui hurlait en cherchant son fils ». Et des « boulons » qui viennent taper « contre les Rangers » quand le deuxième kamikaze actionne sa ceinture. Pierre, retraité de la gendarmeri­e toujours « traumatisé », « garde en (lui) l’explosion, le bruit, et l’odeur ». Et le «choc» d’avoir vu «un tronc humain coupé en deux ».

« On n’est pas formé à voir un kamikaze »

« Gendarmes, policiers, pompiers, on est tous formés. (...) Quand on est appelé pour une interventi­on, on se prépare sur le trajet. On n’est pas formé à voir un kamikaze », explique Philippe, major de gendarmeri­e, également à la retraite.

« Il y a un avant et un après, pour tous ceux qui étaient sur place », conclut-il la voix tremblante.

1. Les gendarmes venus témoigner ont demandé que leurs noms ne soient pas divulgués.

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(Photo EPA) Plusieurs gendarmes ont témoigné hier devant la cour d’assises spéciale.

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