Monaco-Matin

Un malheur devenu opportunit­é ?

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« Sans la tempête Alex, cette ligne de train s’éteignait comme une bougie. » De sa mairie de Tende où il gère depuis un an l’après-Alex, Jean-Pierre Vassallo jongle entre les rendez-vous mais parle de la ligne avec énergie. Depuis la tempête, les trains acheminent les touristes, les denrées, les habitants. Sans elle, certains seraient réduits à l’isolement. Il suffit de longer la vallée pour comprendre l’attachemen­t que lui témoignent ses habitants. Tous ont une anecdote sur ce train transfront­alier, grand vainqueur, aiment-ils à rappeler, du concours des lieux du coeur organisé par la FAI (Fondo Ambiante Italiano) l’année dernière.

À la clé, de l’argent certes, mais surtout, une belle vitrine pour le train, cette ligne de vie, comme tout le monde la nomme désormais. Depuis sa mairie de Cuneo, Federico Borgna acquiesce. Il vient encore de signer il y a peu une lettre avec tous les maires des petites villes transalpin­es situées à la frontière, afin que les autorités italiennes fassent pression sur leurs homologues françaises et que le train ne soit pas oublié.

Mobilisati­on constante

Autour de la ligne, la mobilisati­on des élus locaux et des habitants des Vallées est constante… Sans quoi, elle risque de passer aux oubliettes. Federico Borgna est habitué à sortir sa plume, une fois n’est pas coutume.

Comme quand, fraîchemen­t arrivé à la mairie de Cuneo, il a interpellé le ministre des transports italien alors que la bataille autour d’Italo faisait rage. « J’avais rencontré le ministre des transports à l’époque, et cela s’était très bien passé », se souvient l’édile. Federico Borgna n’est pas le seul élu à réagir.

« C’est en haut que ça coince »

« Le problème, ce n’est pas le local, soupire Jean-Pierre Vassallo. C’est en haut que ça coince. » Le maire de Tende sait de quoi il parle, lui qui a été et est encore de toutes les mobilisati­ons. « Une chaîne humaine en 2019, une table ronde à Paris avec la SNCF et le sénateur Louis Nègre, que nous avions embarqué avec nous », se souvient le maire. À chaque rendez-vous, la courtoisie est de mise, les sourires aussi. Mais dans les faits… « Quel sentiment d’impuissanc­e ! »

« Des réunions, j’en ai fait un paquet. » Ancien vice-président délégué aux transports et à l’éco-mobilité à la région Paca, Jean-Yves Petit se souvient de ses déplacemen­ts dans la Roya et jusqu’en Italie pour discuter de la ligne.

À l’époque, peu de trains étaient en service, les correspond­ances étaient mal réglées et personne ne voulait mettre la main à la poche. « Dans ces dossiers, il y a un écart entre ce que vivent les gens sur place et Paris et Rome, confirme Jean-Yves Petit. Et puis dans les services de l’État, les gens bougent, changent, empêchant une certaine continuité dans le traitement des dossiers. » Les textes sur le ferroviair­e pleuvent. Dans la lignée du nouveau pacte ferroviair­e de 2018, le rapport Philizot laisse le champ libre aux régions pour établir des plans d’action pour sauver leurs petites lignes à l’avenir incertain. Elles représente­nt un tiers du réseau ferroviair­e français. « Ce réseau est ancien et nécessite de la main-d’oeuvre pour fonctionne­r », établit le rapport, qui souligne l’importance de l’engagement des territoire­s sur la question.

« Le ferroviair­e, ça coûte cher »

« Le ferroviair­e, ça coûte cher, commente ainsi Yves Crozet, professeur à Sciences Po Lyon, économiste spécialist­e de l’économie des transports. Il faut entretenir les voies, il faut couvrir les frais d’exploitati­on et les recettes sont très très inférieure­s aux coûts d’exploitati­on et d’entretien. »

La tempête Alex a-t-elle rebattu les cartes ? Alors que le train permet d’acheminer des bouteilles d’eau et tant d’autres choses à la population sinistrée au lendemain de la tempête, la SNCF commente : « Cette ligne, c’est une véritable ligne de vie ». Sur place, Emmanuel Macron est interpellé sur la question et promet d’en faire une priorité.

 ans après

Pendant un an, les acteurs de la ligne ne lâchent rien, multiplian­t, encore et toujours, les vidéos et les courriers auprès des autorités compétente­s. Dans une lettre adressée au ministre des transports italiens, le président de la FAI, ce concours prestigieu­x remporté par la ligne parle « d’infrastruc­ture vitale » et souligne « le service d’importance sociale, économique et culturel » rendu par le train dans la Vallée. Cette fois, toutes les autorités semblent mobilisées. Pour répondre à l’urgence, le contrat de plan Etat-Région pour la période 2021-2027 prévoit d’injecter 32 millions d’euros dans la ligne Coni-Vintimille, en plus des 30 millions déjà injectés après la tempête. D’autres fonds, notamment européens, doivent également être alloués. C’est d’ailleurs l’un des objectifs poursuivis par la Conférence intergouve­rnementale (CIG), réunie le 5 mai dernier. Au programme, toujours, la révision de la Convention de 1970, actuelleme­nt en cours d’amendement par le Ministère des Affaires étrangères italien, mais également, l’inscriptio­n de la ligne au réseau transeurop­éen du transport. L’Europe changera-t-elle la donne ? Les défenseurs de la ligne, eux, restent prudents et se refusent à tout pronostic. La CIG a d’ores et déjà programmé une réunion le 30 septembre, l’affaire suit son cours. Depuis l’inaugurati­on de la ligne, 93 ans ont passé.

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