Monaco-Matin

Un personnage de roman

- de MICHÈLE COTTA Journalist­e et écrivain edito@nicematin.fr

Tellement d’images reviennent à l’esprit à l’annonce de la mort de Bernard Tapie… Bernard Tapie, le patron de l’OM, amenant son équipe de football marseillai­se à la victoire de la Ligue des champions en , Bernard Tapie interminab­lement confronté à son conflit avec le Crédit lyonnais, Bernard Tapie, élu contre toute attente dans la e circonscri­ption de Marseille, longtemps réputée imprenable par la gauche, jeune ministre dans le gouverneme­nt de Pierre Bérégovoy en , tenu, par les « affaires », de démissionn­er, pour revenir, après non-lieu, au gouverneme­nt l’année d’après. Bernard Tapie, champion des estrades, se transforma­nt en orateur populaire hors pair, devenu depuis  l’homme malade, amaigri, la voix rayée, parfois presque inaudible, pathétique dans son long combat contre le cancer. Tellement de vies pour un seul homme, des sommets à l’abîme, cela ne se voit généraleme­nt que dans les romans, ceux par exemple d’Alexandre Dumas ou de F. Scott Fitzgerald dont il aurait pu être le héros, sous le nom d’Edmond Dantès, comte de Monte-Cristo, ou de Gatsby le magnifique.

Si l’on retient les sommets, impossible de ne pas penser à sa fabuleuse, et relativeme­nt courte, ascension politique, dans laquelle François Mitterrand, alors président de la République a joué un rôle majeur, séduit qu’il était par la fougue, le verbe, la vision de celui à qui il conseilla, dès leur première rencontre, de conquérir Marseille. Car Tapie était d’abord un combattant, avec quelques solides conviction­s qu’expliquait son enfance pauvre, jamais oubliée : la lutte contre les inégalités, la volonté d’ouvrir ses chances à tous, au-delà des classes et des castes, l’antiracism­e, et, plus largement, la lutte contre l’extrême droite. En , il fut le seul – tous les ministres de gauche ayant décliné l’invitation – à oser affronter Jean-Marie Le Pen, considéré comme un débatteur invincible, à la télévision sur TF, et à lui faire presque perdre pied : devant cet adversaire plus jeune, ramassé sur son siège comme pour bondir, proche des Français parce qu’il reflétait leurs indignatio­ns et leurs désirs, le vieux leader du Front national fut, pour la première fois de sa vie, déséquilib­ré. Bernard Tapie avait gagné son match. Nommé ministre dans un gouverneme­nt socialiste, il crut un instant qu’il pouvait se poser, qu’il était arrivé au plus haut auquel il pouvait prétendre. Ce bonheur-là ne dura que  jours : la justice, déjà, s’en mêlait. Inculpé pour abus de biens sociaux, Bernard Tapie dut démissionn­er. Une de ses pires épreuves, dont il parlait peu, pour ne pas dire pas du tout. Ainsi était Bernard Tapie, si populaire, et pourtant si détesté par ceux, banquiers ou hauts fonctionna­ires, qui jugeaient qu’il n’était pas de leur monde, peu soucieux de l’orthodoxie financière de ses entreprise­s et si généreux dans son rapport aux autres. Il fut, une année, en numéro , classé comme la personnali­té préférée des Français, juste derrière… Alain Delon.

« Tapie était d’abord un combattant, avec quelques solides conviction­s qu’expliquait son enfance pauvre. »

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