Un personnage de roman
Tellement d’images reviennent à l’esprit à l’annonce de la mort de Bernard Tapie… Bernard Tapie, le patron de l’OM, amenant son équipe de football marseillaise à la victoire de la Ligue des champions en , Bernard Tapie interminablement confronté à son conflit avec le Crédit lyonnais, Bernard Tapie, élu contre toute attente dans la e circonscription de Marseille, longtemps réputée imprenable par la gauche, jeune ministre dans le gouvernement de Pierre Bérégovoy en , tenu, par les « affaires », de démissionner, pour revenir, après non-lieu, au gouvernement l’année d’après. Bernard Tapie, champion des estrades, se transformant en orateur populaire hors pair, devenu depuis l’homme malade, amaigri, la voix rayée, parfois presque inaudible, pathétique dans son long combat contre le cancer. Tellement de vies pour un seul homme, des sommets à l’abîme, cela ne se voit généralement que dans les romans, ceux par exemple d’Alexandre Dumas ou de F. Scott Fitzgerald dont il aurait pu être le héros, sous le nom d’Edmond Dantès, comte de Monte-Cristo, ou de Gatsby le magnifique.
Si l’on retient les sommets, impossible de ne pas penser à sa fabuleuse, et relativement courte, ascension politique, dans laquelle François Mitterrand, alors président de la République a joué un rôle majeur, séduit qu’il était par la fougue, le verbe, la vision de celui à qui il conseilla, dès leur première rencontre, de conquérir Marseille. Car Tapie était d’abord un combattant, avec quelques solides convictions qu’expliquait son enfance pauvre, jamais oubliée : la lutte contre les inégalités, la volonté d’ouvrir ses chances à tous, au-delà des classes et des castes, l’antiracisme, et, plus largement, la lutte contre l’extrême droite. En , il fut le seul – tous les ministres de gauche ayant décliné l’invitation – à oser affronter Jean-Marie Le Pen, considéré comme un débatteur invincible, à la télévision sur TF, et à lui faire presque perdre pied : devant cet adversaire plus jeune, ramassé sur son siège comme pour bondir, proche des Français parce qu’il reflétait leurs indignations et leurs désirs, le vieux leader du Front national fut, pour la première fois de sa vie, déséquilibré. Bernard Tapie avait gagné son match. Nommé ministre dans un gouvernement socialiste, il crut un instant qu’il pouvait se poser, qu’il était arrivé au plus haut auquel il pouvait prétendre. Ce bonheur-là ne dura que jours : la justice, déjà, s’en mêlait. Inculpé pour abus de biens sociaux, Bernard Tapie dut démissionner. Une de ses pires épreuves, dont il parlait peu, pour ne pas dire pas du tout. Ainsi était Bernard Tapie, si populaire, et pourtant si détesté par ceux, banquiers ou hauts fonctionnaires, qui jugeaient qu’il n’était pas de leur monde, peu soucieux de l’orthodoxie financière de ses entreprises et si généreux dans son rapport aux autres. Il fut, une année, en numéro , classé comme la personnalité préférée des Français, juste derrière… Alain Delon.
« Tapie était d’abord un combattant, avec quelques solides convictions qu’expliquait son enfance pauvre. »