Monaco-Matin

Une existence de montagnes russes

Le patron d’Adidas et de l’OM fut l’homme de tous les défis, tous les succès, tous les revers.

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On nous pardonnera d’aborder une vie riche de mille et un fastes, mille et une anfractuos­ités, par le petit bout de la lorgnette et une micro-anecdote locale. Ce jour de 2013, à l’entame de la dernière partie de sa vie, Bernard Tapie, mué en patron de presse, était venu faire étalage de son ambition au siège de Nice-Matin. Il n’était pas forcément le bienvenu, loin de là… Mais après une heure passée avec les cadres du journal, à grands coups de tutoiement obligé et de volontaris­me autopersua­dé, il avait réussi à convaincre une partie d’entre nous que l’avenir était à nos pieds. Mieux, que nous n’allions pas tarder, sous la bannière de Nice-Matin, à remporter le Grand Prix de Monaco et la Palme d’or à Cannes. Quasiment attendu avec des lancepierr­es à son arrivée, il était reparti après avoir signé force autographe­s et couvert de bisous des salariées transformé­es en midinettes de téléréalit­é.

Un acteur dans l’âme

Tel était Bernard Tapie, capable par l’emprise de son verbe de faire croire qu’il était le père Noël incarné. Il faisait miroiter les rêves et, souvent, les réalisait. Magicien qui transforma­it tout ce qu’il touchait en or pour ses thuriférai­res ébaubis. Embobineur de première pour ses contempteu­rs agacés. Entreprene­ur de génie bousculant les convenance­s pour les uns. Aventurier trop peu scrupuleux pour les autres…

C’est peu dire que Wonderman aura eu plusieurs vies : homme d’affaires, artiste, dirigeant sportif, animateur télé, homme politique, patron de presse… Une existence si intense qu’on ne sait par quel bout en dérouler le fil. Peutêtre par ce qu’il était sans doute le plus profondéme­nt, le plus sincèremen­t : un acteur, un caractère, une truculence, une sorte de Raimu de la finance. Ce n’est pas un hasard si, après tant de détours sportivo-politico-financiaro-judiciaire­s, il s’est relancé au théâtre, la soixantain­e venue, en jouant Vol au-dessus d’un nid de coucou, puis Un beau salaud et Oscar. Tapie était taillé pour le spectacle, mais ce ne fut paradoxale­ment pas le rôle-titre de sa vie. Dans les années soixante déjà, ses débuts de chanteur avaient vite tourné court.

Des affaires à gogo

Rien ne prédisposa­it ce titi parisien, fils d’un fraisier ajusteur et d’une aide-soignante, à briller de tant de feux. Titulaire d’un bac de technicien en électroniq­ue, il connaît son premier succès dans la vente de téléviseur­s. Son bagou fait déjà merveille. Devenu repreneur d’entreprise­s en difficulté, il réussit son premier jackpot en relançant Manufrance. Suivront les reprises de Terraillon, Look, La Vie claire, Wonder. Des succès qui lui permettent d’accéder à la notoriété cathodique avec l’émission Ambitions en 1986. Tapie devient le symbole de la France qui ose, qui entreprend, qui gagne. Le regain des entreprise­s qu’il rachète pour le franc symbolique est souvent en trompel’oeil. Mais il tisse sa pelote. Au flair. A l’opportunis­me. A l’instinct. Et ça marche, pour lui en tout cas. Au point d’acquérir Adidas, en juillet 1990, pour 1,6 milliard de francs. Il le cédera pour plus de deux milliards en 1993. Le début des ennuis. Un feuilleton à rebondisse­ments de deux décennies : le procès pour montage frauduleux intenté au Crédit lyonnais qui a, à son tour, revendu Adidas plus de deux fois son prix d’achat, l’arbitrage d’abord favorable, validé par la ministre de l’Economie Christine Lagarde, qui verra Tapie obtenir 403 M€ de dédommagem­ent en juillet 2008, avant que la Cour d’appel de Paris ne le condamne à les restituer en décembre 2015, puis sa relaxe d’escroqueri­e, le 8 juillet dernier, qui ne le dédouane toutefois pas du remboursem­ent. Les remugles des affaires auront, sa vie durant, accompagné Bernard Tapie. Le paroxysme de ce parcours en montagnes russes, de pinacles en abysses, sera atteint en novembre 1995, lorsqu’il sera condamné en appel à deux ans de prison dont huit mois ferme, qu’il purgera à Luynes puis en semi-liberté aux Baumettes, pour corruption et subornatio­n de témoin dans l’affaire VA-OM.

Le chouchou de Tonton

Etrangemen­t, l’odeur de soufre flottant autour de Tapie ne l’a pas empêché de devenir sympathiqu­e aux yeux de François Mitterrand, réputé n’avoir jamais le sou sur lui et ne pas être familier des questions économique­s. Le Président socialiste, affaibli et en grande difficulté politique, sera subjugué par l’audace et l’énergie de ce beau parleur, qu’il bombardera ministre de la Ville du

gouverneme­nt Bérégovoy en 1992. Tapie n’aura pas le temps d’y faire ses preuves. Plombé par sa mise en cause judiciaire, autant que par le discrédit général qui avait alors enseveli un pouvoir plongé dans une lente agonie, il ne restera au total ministre que quatre mois et demi, saucissonn­és en deux phases. Il avait auparavant gagné ses galons politiques en devenant, de haute lutte, député de Marseille en 1989, avec 50,9 % des voix contre le sortant Guy Tessier, qui l’avait pourtant battu en 1988 mais dont l’élection avait été invalidée par le Conseil constituti­onnel. Tapie avait au préalable obtenu aux yeux de Mitterrand son brevet de socialisme en affrontant JeanMarie Le Pen sur le plateau de TF1, et en lui tenant tête, sur le thème de l’immigratio­n, alors que tous les autres ténors politiques de l’époque s’étaient déballonné­s. Mitterrand ne manquera pas d’utiliser

jusqu’au bout Tapie, en le glissant dans les pattes de son éternel rival, Michel Rocard, lors des européenne­s de 1994. A la tête d’une liste radicale de gauche qui engrangera 12 % des voix, il siphonnera le capital de la liste socialiste, condamnant celle-ci à une défaite qui signera la fin du rêve présidenti­el de Michel Rocard. Au terme d’un parcours politique qui aura contribué à le cabosser davantage, demeure une inconnue. Bien qu’il l’ait toujours nié, beaucoup ont prêté à Bernard Tapie des visées sur la mairie de Marseille. On a longtemps pensé que l’OM était pour lui un tremplin vers l’hôtel de ville. Et on l’a encore cru lorsque, fin 2012, il est devenu actionnair­e du groupe Hersant et a repris le journal La Provence. Se voyaitil maire ? C’est l’une des dernières incertitud­es d’un destin qui s’est joué, comme nul autre, en pâture sur la place publique.

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