Spéracèdes : au milieu, coule une décharge
En toute illégalité, une piste a été élevée au coeur d’un bois classé. Elle contient des remblais pollués. Mais jusqu’à quel point ? De l’amiante a été trouvé. Une plainte contre X a été déposée.
C’est l’histoire d’une piste administrativement fantôme. Qui n’aurait jamais dû voir le jour dans ces conditions. Depuis juillet 2019, elle s’est élevée à bas bruit. Elle monte aujourd’hui jusqu’à près de quinze mètres de hauteur sur dix mètres de large au milieu d’un bois classé en « zone naturelle » de Spéracèdes, charmant petit village du moyen pays grassois. Une commune de 346 hectares, dont 200 sont boisés. L’Aspic (1), l’association environnementale locale, qualifie cette piste forestière de «décharge de la honte. » Elle avait tout de suite émis des doutes sur la légalité du projet, remis en question son utilité et dénoncé la présence de rejets de déchets interdits.
Une piste de contournement
Plus largement, cette affaire pose la question des déchets du BTP dans le département. Jeannine Blondel, vice-présidente de France nature environnement Alpes-Maritimes, tire la sonnette d’alarme (lire par ailleurs).
À Spéracèdes, au lieu-dit le « Carbonnier », une piste existante en terre, dite du Gazoduc, partait initialement tout droit en pleine forêt. Problème : elle empiétait sur une portion de terrain privé. Inutilisée, certes, mais privée. D’où l’idée de créer une boucle de contournement de 300 m. Cette piste, devenue monumentale, s’élève désormais jusqu’à la cime des arbres. La colline a enseveli des murs de bergers, une barre rocheuse remarquable. Elle est si haute que les camions déversaient ces derniers temps sur les arbres en contrebas. Une évidence au fil de nos investigations : aucune autorisation administrative n’a été délivrée dans les formes.
Des entrepreneurs voyous auraient déchargé
En réponse à nos questions, l’ancien maire, Joël Pasquelin, reconnaît un deal « à l’oral » avec la société de BTP délégataire, la SEETP. Elle ne se serait pas vue fixer de cahier des charges et aurait, selon lui, travaillé gratuitement. Plutôt rare. L’entreprise réfute et évoque un contrat à 11 000 euros. Une zone d’ombre. Une de plus.
Les opposants, eux, s’appuient sur du concret. Une analyse auprès d’un laboratoire spécialisé fait état de présence de fibres d’amiante de type « chrysotile » dans les remblais. Depuis le début du chantier, l’association documente sur son site Internet, en photos et vidéos, les métaux, plastiques, sacs de chantier, fils électriques, canalisations déversés au milieu de remblais censés être inertes. Nous avons pu en relever de très nombreuses traces lors de notre reportage. Ces matériaux interdits sont-ils le fait de la SEETP ? L’entreprise réfute et affirme que des entrepreneurs voyous ont déchargé dans son dos.
Catastrophe écologique
France nature environnement (FNE), a déposé plainte contre X devant le procureur de la République de Grasse, en janvier 2020, pour dépôt de matériaux dangereux et non autorisés en milieu naturel. Les protagonistes ont été entendus par les gendarmes enquêteurs. Le parquet n’a pas donné suite à nos questions. L’Aspic, elle, redoute une catastrophe écologique. La piste de contournement devrait être achevée d’ici à quelques semaines.
1. Association spéracédoise pour l’information des citoyens et la défense de l’environnement. https://speraspic.wixsite.com/aspic