Monaco-Matin

Tapie a-t-il bien fait de témoigner sur son cancer ?

L’homme d’affaires a souvent évoqué le mal dont il était atteint. S’il est positif de déstigmati­ser la maladie, elle ne se résume pas à un combat. Il y a d’autres manières de vivre cette épreuve.

- AXELLE TRUQUET atruquet@nicematin.fr

Alors que Bernard Tapie s’est éteint ce dimanche, on n’a eu de cesse de souligner le combat qu’il menait contre le cancer. Lui-même en a beaucoup parlé tout au long de ces quatre dernières années. Mais quel est l’impact de la médiatisat­ion de sa lutte contre la maladie ? Cela peut-il donner du courage à ceux qui y sont confrontés ? Que peuvent en retirer les patients et leurs proches ? La réponse est loin d’être évidente, ainsi que le souligne Hélène Brocq. Cette Niçoise est particuliè­rement bien placée pour traiter le sujet. Elle est psychologu­e au sein du service de médecine physique et de réadaptati­on du CHU de Nice où elle accompagne des personnes souffrant de pathologie­s graves.

Différents comporteme­nts face à la maladie

« Sur le plan psychologi­que, on a beaucoup fait l’éloge de son combat, de sa bravoure. Il avait dit cette phrase : ‘‘On n’a pas à se vanter d’avoir du courage, on doit avoir honte de ne pas en avoir’’... Il faut nuancer ces propos parce que cela voudrait dire qu’il n’y a qu’une bonne manière

« On n’a pas à se vanter d’avoir du courage, on doit avoir honte de ne pas en avoir », disait Bernard Tapie

de se comporter face à la maladie. Or, ce n’est certaineme­nt pas le cas, c’est une vision trop simpliste. Pour revenir au point de départ, on a une vision très médico-centrée du cancer : d’abord l’annonce, puis les traitement­s. Les médecins vous indiquent le chemin à suivre. Mais le problème, c’est l’angoisse qui s’insinue rapidement. Il n’y a pas que la maladie à prendre en charge, il y a le malade dans toutes ses composante­s, physiques et psychiques. »

Il n’est pas rare que des personnali­tés publiques évoquent les maux qui les rongent. Mais paradoxale­ment, elles ne parlent que rarement de comment elles se sentent une fois la porte de chez elles refermée, lorsqu’elles se retrouvent seules face à l’angoisse.

La maladie ne se résume pas à un combat

« Bien souvent ces personnes parlent de leur combat : c’est toujours une sémantique guerrière avec des notions de courage, de dépassemen­t de soi. On observe le combattant qui tient en joue son cancer..., relève Hélène Brocq. D’accord. Mais il n’y a pas que cela. Ça ne résume pas le chemin des malades, de tous les malades. Il y a d’autres manières de vivre cette épreuve. Et c’est important de le dire. Parce qu’il ne faut surtout pas qu’une personne souffrant d’une maladie grave ait l’impression qu’elle manque de courage par rapport aux autres ou qu’elle se dise qu’elle ne se bat pas assez. Non, on ne s’en sort pas tout seul. Il est fondamenta­l d’être accompagné sur le plan psychologi­que pour pouvoir gérer l’angoisse. Or là-dessus, il y a encore de grosses lacunes en la matière. Trop peu de moyens et donc trop peu de prises en charge. »

C’est justement ce que regrette la psychologu­e niçoise : « On ne dit pas assez l’angoisse qui peut venir envahir un patient et le paralyser. Il faut l’encourager à parler de lui, de ce qui lui fait peur, il faut lui permettre de se livrer. Or cela, on l’entend peu dans les médias et c’est dommage. On ne peut pas résumer les choses à ‘‘il faut se montrer combatif’’. Il faut bien comprendre qu’un psychologu­e peut aider un patient à trouver un chemin individual­isé en fonction de sa personnali­té, de son mode de vie, de ses mécanismes de défense et de ses attentes. On ne peut pas proposer le même accompagne­ment à tout le monde, cela n’a pas de sens. Et lorsque l’on prend en compte le fonctionne­ment psychique du patient pour qu’il gère mieux l’angoisse, on sait qu’il va mieux tolérer les traitement­s, mieux comprendre ce que disent les soignants. De tout cela, il faudrait davantage informer la population. Mettre en lumière la lutte d’un homme contre le cancer ne suffit pas à expliquer les enjeux qui sont infiniment plus complexes que les seuls traitement­s. C’est aussi dangereux parce que cela peut déstabilis­er des malades déjà fragilisés. Ne résumons pas tout cela à un combat. »

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(Photo archives Philippe Dobrowolsk­a)

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