Monaco-Matin

« Combattre pour être soi »

Clarisse Agbégnénou, porte-drapeau de l’équipe de France et médaillée d’or aux JO de Tokyo, s’est confiée sur sa soif de vie, ses rêves, sa dépression... La vraie richesse d’une championne.

- FRANÇOIS PATURLE

Sous un dimanche pluvieux, au Sportel, un soleil. Vous ne ressortez pas indemne d’une interview avec Clarisse Agbégnénou. Non pas au tapis, plutôt avec l’envie de partir pour un tour du monde. Dévoreuse de titres et de vie, la championne s’est confiée, sans détour.

Ce  juillet  à Tokyo,  secondes dans le golden score et ce wazaari qui vous donne la médaille d’or ?

Je n’avais encore jamais ressenti cela. Comme un sac de pierre qui tombait de mes épaules ! Un sentiment de libération indescript­ible, autant physiqueme­nt que mentalemen­t. Je ne pensais même pas avoir ce feeling une fois dans ma vie.

Vous battez la Slovène Tina Trstenjak, la même qui vous a privée de l’or  ans plus tôt à Rio...

Oui. Voilà  années que l’on se bat l’une contre l’autre, que l’on essaye de se voler les titres. Et dans la vie, nous sommes des amies. Elle va venir à la maison dans deux semaines à Paris. Elle ne connaît pas, elle veut voir les monuments, je lui servirai de guide. Et j’espère bien lui rendre visite plus tard en Slovénie. Il paraît que c’est très beau, les lacs, la forêt, ça m’enchante d’y penser.

Vous êtes née à Rennes, vos parents sont originaire­s du Togo. Racontez-nous...

Mes parents sont nés au Togo, ils ont grandi là-bas, ils se sont rencontrés à l’école, en terminale. Ensuite, ma maman a rejoint son frère, en Bretagne, à Rennes, pour effectuer ses études de comptabili­té. Mon père, lui, est parti effectuer son doctorat de vétérinair­e en Russie. Eh oui, il parle Russe, papa (sourire).

Mon père est ensuite allé chercher ma mère en Bretagne pour s’installer en région parisienne, avant qu’il ne reparte en Russie terminer ses études. C’est à ce moment-là que ma maman est tombée enceinte de jumeaux, elle est retournée à Rennes pour sa grossesse.

Dans votre livre, ‘’’combattre pour être soi’’, vous évoquez le moment si difficile où toute petite, vous avez survécu...

Je suis née prématurée avec mon frère jumeau, deux mois avant terme. Après un passage en couveuse durant quatre semaines, j’ai subi une opération due à la malformati­on d’un rein. Je suis alors tombée dans le coma. Les médecins ont cru que j’étais perdue. Ma maman disait, non, il faut tenir, elle va se battre. Un jour, je me suis réveillée, ma première inspiratio­n. Les médecins ont dit à ma maman, vous aviez raison.

Comment étiez-vous, gamine ?

Un petit démon ! On va dire que je me suis adoucie depuis (elle rit). Je ne tenais pas en place, notamment derrière le pupitre d’un écolier... Je me battais aussi avec mon frère jumeau dans la cour de l’école. Je prenais aussi des colères terribles. On m’appelait le petit diable de Tasmanie. Un jour, les maîtres ont dit à mes parents, pourquoi ne pas inscrire Clarisse à un sport de combat ? On avait fait une session de judo à l’école et j’avais bien aimé. Je suis rentrée au club de judo d’Asnières et là je suis tombée totalement amoureuse de mon sport. J’ai pu y placer toute mon énergie, ce fut génial pour mes profs à l’école aussi.

« Fonder une famille, j’y pense »

Porte-drapeau, à Tokyo ?

Je suis heureuse que tous ensemble, toute l’équipe de France, nous ayons donné une belle image de joie de vivre. Je trouve que nous avons eu une belle prestance pendant la cérémonie d’ouverture. Nous avions tellement attendu ce moment-là, on n’a même pas remarqué le huis clos. Nous chantions la Marseillai­se. Samir (Aït Saïd, le gymnase antibois, porte-drapeau masculin), m’a donné le drapeau au moment d’effectuer son salto. Avec lui, ce ne fut que du bonheur. Être le portedrape­au, au-delà de l’honneur et de la fierté que cela représente, je me demandais si cela n’allait pas me coûter un peu d’énergie. Au contraire, cela m’en a donné encore plus.

Sportiveme­nt, aujourd’hui, vous avez tout gagné, vous êtes une femme épanouie. A  ans, est-ce que devenir maman aujourd’hui occupe vos pensées ?

C’est une très belle question. Cela a été difficile de savoir que les Jeux étaient reculés. Je ne veux pas mettre de côté le fait de fonder une famille. C’est quelque chose qui fait partie de moi. Cela peut me permettre d’écrire une autre histoire, de revenir plus forte ensuite, de me battre différemme­nt. En tant que judokas, nous serons présélecti­onnés pour Paris , ma dernière compétitio­n. Cela peut donc laisser plus de place pour de très beaux projets comme celui que vous évoquez.

Il fut des instants, avant Tokyo, où l’on a cru que les Jeux n’auraient jamais lieu. Comment l’avez-vous vécu ?

En tant qu’athlète, je n’aurais jamais pensé tomber aussi bas. J’étais vraiment déprimée, à pleurer tous les jours, durant de nombreux mois, à me dire pourquoi je suis encore là, pourquoi je ne fais pas autre chose, pourquoi je ne construis pas ma vie autrement. Je pensais à l’injustice d’un rêve que l’on me subtilisai­t. Pour surmonter, il a fallu relativise­r, penser aux gens qui souffraien­t ou qui étaient en train de perdre la vie à cause du virus. Il fallait que je me ressaisiss­e.

CLARISSE EN BREF

Clarisse Agbégnénou.

Né le 25 octobre 1992 à Rennes. 1,64m. Catégorie - de 63 kg. Surnoms : Clacla, le bulldozer.

Palmarès : cinq fois championne du monde, 5 X championne d’Europe, championne olympique (individuel­le et par équipe mixte).

Famille : Clarisse a 3 frères (Selome, Aurélien et Joris). Ses parents : Victor et Pauline.

Son livre : ‘’Combattre pour être soi’’, aux éditions Rageot.

“Samir

(le gymnaste antibois porte-drapeau) me dit avant sa finale, je me suis blessé. Je n’arrivais pas à y croire. Ils ont failli le disqualifi­er. Malgré cela, il finit au pied du podium. Il a en lui une volonté juste incroyable. Il l’aura, sa médaille »

Il y a beaucoup de choses à faire dans ce monde même sans les Jeux. Ma formation de coach de vie m’a alors beaucoup aidé. J’ai rencontré des personnes exceptionn­elles, de tous les milieux. Je vais rentrer petit à petit dans ce métier qui me passionne. Je dois rendre ma soutenance la semaine prochaine.

Vous avez une jolie voix, vous pourriez aussi travailler dans les médias ?

Vous trouvez ? C’est gentil. Je n’aime pas trop me réécouter, mais on est probableme­nt tous un peu dans ce cas-là, non ?

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