Monaco-Matin

Un violeur rattrapé trois mois avant que les faits ne soient prescrits

- CHRISTOPHE PERRIN

Comment une simple querelle entre automobili­stes début 2017 a-t-elle permis, grâce à l’ADN, de résoudre une affaire criminelle vieille de dix ans ? Cette improbable histoire était au coeur d’un procès devant la cour d’assises des Alpes-Maritimes qui s’est achevé hier. David Besnard, chef de rang ambitieux et très estimé, marié, père de famille, a été condamné à sept ans d’emprisonne­ment et trois ans de suivi sociojudic­iaire. Il a été immédiatem­ent conduit en détention.

Son crime aurait pu rester à jamais impuni. Il a été arrêté par la police à trois mois de la prescripti­on des faits qui lui étaient reprochés (1). Sans une tôle froissée et le coup de sang de son passager, il n’aurait sans doute jamais été identifié. L’agression dans une impasse du chemin des Chênes, à Cagnes-sur-Mer, était ce qu’on appelle un « cold case », une affaire classée. Le 6 décembre 2006, vers 19 h 10, Hélène, 51 ans à l’époque (2), rentre de son travail. Elle descend du train à la gare du Cros-deCagnes et rejoint son domicile chemin de Saint-Laurent. « J’ai senti une présence. J’ai été attrapée, ceinturée, une main sur ma bouche. J’ai cru qu’on m’agressait pour me voler mon sac », raconte, d’une voix tremblante, la fragile retraitée.

« Humiliée, salie, honteuse »

David Besnard la traîne dans la pénombre. Elle perd une chaussure avant d’être plaquée au sol. Hélène est terrorisée. Elle implore l’inconnu qui commence à la violer, la retourne tel un objet. «Àce moment-là, j’aperçois une personne. J’étais tétanisée, mais j’ai pu appeler au secours. » Mais avec un sang-froid étonnant, son agresseur s’approche de la passante. Il lui explique posément qu’une femme vient d’être agressée, qu’il n’a pas de téléphone pour avertir la police. Et poursuit son chemin d’un pas assuré. Hélène gît sur le bitume, détruite. « Je me suis sentie humiliée, salie, honteuse. » Après s’être réfugiée un temps dans le travail, elle a quitté la région sans pouvoir effacer de sa mémoire ces quelques minutes de cauchemar : « J’ai eu deux vies. Une avant, une après. » Elle se décrit comme « angoissée à chaque seconde », « hypervigil­ante », « paranoïaqu­e », « insomniaqu­e »…

David Besnard, 46 ans aujourd’hui, teint hâlé, allure sportive, reste une énigme. Il comparaît libre, soutenu par son épouse. Une longue psychothér­apie dans le cadre d’un contrôle judiciaire qu’il respecte à la lettre ne l’a pas

Mes Rostan et Pariente ont assuré la défense de l’accusé.

aidé à trouver la clef de son comporteme­nt.

Il plaide coupable sans, ditil, se souvenir de son accès de violence. La présidente Catherine Bonnici paraît dubitative. Elle cherche l’élément déclencheu­r, insiste. L’accusé finit par pleurer : « Je préférerai­s me souvenir… Ne serait-ce que par respect pour Madame. Je ne pourrai jamais réparer ce que j’ai fait. »

« Vous n’assumez rien »

« Je me dégoûte », avait-il répété aux enquêteurs. « Comment se dire dégoûté au sujet d’un acte dont vous ne vous souvenez pas ?, s’étonne l’avocat général Alain Guimbard. En réalité, vous n’assumez rien. [...] Je suis très inquiet pour l’avenir. Pourquoi une telle pulsion a vu le jour ? » « Les experts affirment que ses regrets et son empathie sont réels. Eux parlent de “refoulemen­t massif” », avance Me Sarah Pariente. Est-ce la date anniversai­re d’un père alcoolique et honni ? Un surmenage ? L’influence de la cocaïne et de l’alcool ? « Mon client ne cache rien des détails parfois peu glorieux de sa vie comme ses relations avec des escort-girls ou sa prise de cocaïne », remarque Me Pariente. Deux jours de procès n’ont pas suffi à percer le mystère de cet homme d’apparence si ordinaire qui, un soir, s’est transformé en abominable prédateur sexuel avant de reprendre le cours normal de sa vie.

1. La prescripti­on des crimes est passée de dix à vingt ans en 2017.

2. Le prénom a été modifié.

 ?? (Photo Ch. P.) ??
(Photo Ch. P.)

Newspapers in French

Newspapers from Monaco