Monaco-Matin

« Éloigner de l’écran mais aussi éduquer, dialoguer »

Pour le psychiatre niçois Jérôme Palazzolo, qui pointe des phénomènes similaires dans le passé, il faut prendre en compte la facilité croissante d’accès à de tels contenus et responsabi­liser les enfants.

- PROPOS RECUEILLIS PAR FRANCK LECLERC fleclerc@nicematin.fr

Psychiatre, professeur et chercheur à Nice, le docteur Jérôme Palazzolo conseille évidemment aux parents d’éloigner les enfants de la série. Interdire tout accès aux écrans se révélant quasi-impossible aujourd’hui, il suggère d’expliquer et d’établir le dialogue.

Avez-vous déjà vu un épisode de Squid Game ?Sioui, qu’en pensez-vous ?

J’attaque le quatrième épisode. Au départ, ce n’est pas quelque chose qui me branchait. Mais puisque tout le monde en parle, en particulie­r mes enfants, qui ont une vingtaine d’années, j’ai voulu voir ce qu’il en était. Et c’est vrai que j’ai trouvé la série plutôt bien faite. On est pris tout de suite.

Cynisme, cruauté ; la dignité des participan­ts est très dégradée…

Bien sûr. La grande question qui se pose au départ, c’est : pourquoi ? Dans la plupart des séries qui deviennent addictives, on trouve au début une situation dans laquelle le téléspecta­teur est embrigadé. Ici : pourquoi tant de violence ? Pourquoi tant de cynisme ? Se pose ensuite la question de cette violence gratuite. Sans vraiment de finalité. Des sociologue­s s’y sont intéressés, disant qu’il s’agissait d’une critique de notre société capitalist­e, sur fond d’un contexte national où, au niveau politique, la situation en Corée est un peu différente de la nôtre.

« Ce n’est pas du tout pour un public de moins de  ans », confirme le psychiatre Jérôme Palazzolo.

Y a-t-il un danger pour le jeune public ?

Je ne sais pas si l’on peut parler d’un danger spécifique. Mais c’est un engouement mondial, quelque chose qui devient à la mode. On retrouve effectivem­ent dans les cours de récréation des parties de « ,,, soleil ! » où le gamin qui perd se fait tabasser par les autres. Je pense qu’il faut rester vigilant, mais il y a eu beaucoup d’autres phénomènes équivalent­s auparavant. En tout cas, ce qu’il faut retenir, et je parle pour ma partie, c’est que cette série touche une dynamique que l’on appelle l’apprentiss­age social. Lorsqu’on voit quelque chose se réaliser, on a tendance à l’intégrer, et à le reproduire avec moins de retenue. Même s’il est question d’une fiction, devant la violence, il peut y avoir u ne tentation de réitératio­n. Dans un autre domaine, on a vu des gamins qui, voulant imiter dans la cour de récréation des actions qu’ils avaient vues dans les combats de MMA [Mixed Martial Arts, Ndlr], provoquaie­nt des accidents. Avec Squid Game, c’est pareil : on voit des jeux que nous avons tous connus à l’école, mais qui, ici, deviennent mortifères. Ce qui, toutefois, n’est pas plus dangereux que certains films d’horreur devenus, eux aussi, des phénomènes mondiaux. Concrèteme­nt, c’est un peu les jeux du stade.

Ici, quand on est éliminé, on l’est vraiment !

Complèteme­nt. Et comme la série devient vraiment un phénomène mondial, la fameuse poupée a été installée à Manille, sur un passage protégé, pour inciter les piétons à traverser quand il faut. Sans leur tirer dessus, bien sûr, mais cela en dit long sur le succès de Squid Game.

Ce survivalis­me existait déjà dans Hunger Games ou The Platform. Pourquoi un tel écho ?

On peut même remonter aux années quatre-vingt avec Le Prix du danger. Un film avec Gérard Lanvin et Michel Piccoli, autour d’un jeu télévisé, où un candidat est lâché dans la nature, poursuivi par des tueurs. Quand j’étais adolescent, il y avait déjà Massacre à la tronçonneu­se, et si l’on pouvait passer entre deux personnes pour entrer dans la salle, on le faisait. À l’arrivée des cassettes vidéo, c’était un peu la même chose. Le conseil à donner aux parents, c’est d’éloigner les enfants d’une série aussi violente. Ce n’est pas du tout pour un public de moins de  ans.

Selon une ado de  ans,

« on voit bien que c’est du ketchup ». Les enfants savent faire la part des choses ?

Cela permet de se détacher, d’un point de vue cognitif, de cette violence de fiction. Et c’est très important. C’est aussi une preuve d’intelligen­ce. Malgré tout, des images sont choquantes, et un gamin n’a rien à faire devant Squid Game.

Toujours cette question de la responsabi­lité des parents ?

On en vient aux problémati­ques d’éducation et de censure. Auxquelles s’ajoute la question de l’accès aux écrans. On a beau interdire à un gamin de regarder la série à la télévision, s’il se débrouille pour trouver les mots de passe, il peut s’enfermer dans sa chambre et visionner sur son téléphone. Ou à l’école, sur le portable d’un copain. Il y a une trentaine d’années, c’était bien plus simple. Dans la mesure où il devient difficile d’interdire tout accès aux enfants, la priorité, c’est de les éduquer. Les responsabi­liser très tôt, pour leur permettre de faire des choix.

Violence et porno, même combat ?

C’est un peu la même démarche. Expliquer qu’il vaut mieux éviter de regarder et inciter à prendre énormément de recul. Le jeu, ce n’est pas ce que l’on voit. La sexualité non plus. Peut-être essayer de tirer parti de ce succès mondial pour aborder des questions : c’est tout le pouvoir du dialogue.

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(Photo Jennifer Marty)

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