Monaco-Matin

Quand le théâtre rythme le quotidien des écoliers

Enseignant à Sospel depuis 16 ans, Eric Bleuzen a pris l’habitude de saupoudrer ses cours de mots bien sentis et de spectacle vivant. Il écrit même ses propres pièces, adaptées aux CM2.

- GAELLE BELDA gbelda@nicematin.fr

Bonnet enfoncé jusqu’aux oreilles, mains dans les poches de sa doudoune et sourcils froncés, Eric Bleuzen n’est pas le genre de prof que l’on a envie d’aller chatouille­r. C’est peut-être juste que, dans la cour de récréation de l’école élémentair­e de Sospel, il doit se faire respecter. Pourtant, derrière l’air sévère se cache un créatif. Quand on lui fait signe, de loin, ses yeux se plissent et il esquisse un petit sourire. Il sait déjà qu’il va parler théâtre. Juste le temps de remonter ses joyeux élèves en classe et, promis, il déroule le programme…

Il avait déjà été « vendu » par son directeur d’établissem­ent. Thomas Mireux n’est pas peu fier de toutes les initiative­s que mettent en place les enseignant­s. Fresques murales, chant, rando, concours de dessin en vue de la création de fèves… (Lire Nice-Matin du 12 décembre) On en passe. «On a un enseignant qui écrit ses propres pièces de théâtre », avait-il soufflé. Avant d’enchaîner, les yeux pleins d’étoiles : « Chaque fin d’année, ça donne des représenta­tions assez fabuleuses ! »

La production existante pas toujours adaptée

Ambiance studieuse dans la salle de classe. « Prenez vos cahiers de poésie et illustrez la dernière. » Il ne le dira pas deux fois. Ça soupire un peu. Et ça tend l’oreille. Ils ont bien envie de participer à l’échange, c’est clair. Les yeux d’Eric Bleuzen se plissent une nouvelle fois. Ses CM2 le font rire mais il ne va pas l’afficher tout de suite. L’humour, le ton, c’est un truc qui compte. Et c’est assurément pour cette raison qu’il a commencé à travailler sur des textes pour les enfants.

« Je trouvais que les production­s existantes n’étaient pas toujours adaptées. En prime, elles ne correspond­ent pas forcément à des classes de 25 ! » Il est passionné par la Commedia dell’arte, c’est l’occasion de creuser le sujet. Il commence à écrire des saynètes… jusqu’à mettre sur pied un spectacle de 50 minutes dans lequel chaque élève tient un rôle. Il lève un doigt : « Surtout, ils sont totalement autonomes. »

Texte, rythme, changement­s de décor, de costumes… Tout est géré par les écoliers. Après des semaines de travail, de répétition­s, le prof se met en retrait et laisse ses comédiens en herbe assurer comme des profession­nels. « Nous avons fait ça pendant trois ans et tout s’est toujours bien passé. » Dans la classe, la rumeur monte… « Vous avez quelque chose à dire ? » Des mains se lèvent. « Je trouve ça super que l’on doive tout gérer comme ça… » lls sont pressés d’attaquer.

Ils démarrent quand, justement ? « En janvier, juste après les vacances. Même si on a déjà lu un premier texte de théâtre en classe. Cette année, je fais le choix de plusieurs petites pièces déjà écrites.

Ensuite, on utilisera les heures d’APC – ateliers pédagogiqu­es complément­aires –, tous les jours entre 11h30et12h­05.» Un travail quotidien donc. Il sourit : « Parfois, il faut passer toute la séance sur une seule et même réplique. Tout ça demande du temps… »

Les costumes sont dénichés dans les greniers, parfois prêtés par les Sospellois du festival Les Baroquiale­s. Les affiches ? Ce sont les CM2 qui sortent feuilles, feutres et imaginatio­n. Ils doivent illustrer mais aussi n’oublier aucune informatio­n. La salle ? Eric Bleuzen rebondit : « On donne les représenta­tions dans la salle multimédia du village. C’est une ancienne chapelle.

Solliciter les éditeurs

L’an dernier, les enfants ont donné six représenta­tions. Tous les publics ont pu profiter du spectacle. Des plus jeunes aux plus vieux. « L’avantage, c’est que les classes que j’ai maintenant ont déjà assisté aux pièces. Ils savent exactement comment ça se passe. Du coup, même si ça reste délicat pour les plus timides, ils sont globalemen­t tous prêts à jouer le jeu. »

Un jeu guidé, modelé, par un homme qui, étonnammen­t, n’a pas spécialeme­nt fait de théâtre. Sourire en coin. « Un peu quand j’étais étudiant, c’est tout. Je suis surtout formé en lettres modernes et très inspiré par la Commedia dell’arte. » Ce sont les mots qui le portent. Ses récits trouveront peut-être un écho chez les éditeurs… Il hésite, humble. « Oui, oui, je pense que cela pourrait être intéressan­t de soumettre mes pièces. Elles pourraient un jour être publiées. »

En attendant, La sorcière aux enfants sages, d’Élisabeth Gentet-Ravasco (Ed. l’Agapanthe & Cie), a obtenu ses faveurs et retenu l’intérêt des écoliers. D’autres oeuvres seront étudiées au fil de l’année… Il ne sait pas encore lesquelles. Ou bien, il ne veut pas le dire. Clin d’oeil. Baisser de rideau. On ferme les cahiers de poésie. Reprise du cours.

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(Photo Gaelle Belda) Eric Bleuzen est notamment passionné par la Commedia dell’arte.

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