La rude quête de sobriété
Face à la flambée des coûts de l’énergie, les municipalités cherchent des marges d’économies, mais sont confrontées au poids des investissements nécessaires. Après avoir gaspillé du temps ?
Àla tombée de la nuit, le bord de mer s’illumine. Ne vous y trompez pas, Mandelieu-la-Napoule est passé aux économies. Les décorations de Noël ont été « maintenues, mais
restreintes » ,et « tout est passé en Led », souffle-t-on en mairie. La dépense est calculée à 60 euros par soir, soit 0,2 centime par habitant. Minuit passé, les loupiotes s’éteignent. Et certains lampadaires aussi. C’est le volet le plus visible de la quête de sobriété dans la commune. Bordée d’eucalyptus, la cour de l’école des Primevères est baignée de soleil. Dans les salles de classe en été, la chaleur est intense. Il est même arrivé qu’on y allume la clim. En hiver, certains joints baillent aux fenêtres.
« Réduire la hausse »
La petite école maternelle en bord de Siagne sera la première à voir sa note d’électricité atténuée. Si on cumule double vitrage, isolation de la toiture et panneaux voltaïques (budget de 420 000 euros en 2023), la consommation d’électricité
devrait y baisser de 40 %. Cela permettra-t-il de faire des économies ? « Aujourd’hui, réduire sa consommation d’électricité permet juste de réduire la hausse des prix… pas de réduire la facture », prévient Aurélie Chapon, responsable du service de la transition énergétique à Mandelieu-la-Napoule.
La crise, « accélérateur »
Dans le contexte de flambée des coûts, les municipalités sont aux prises avec un calcul périlleux : faire face aux factures qui flambent, en même temps qu’investir pour améliorer l’efficacité énergétique de leurs bâtiments. « La mairie tout entière est à rénover, illustre le maire Sébastien Leroy (LR), dans son bureau, devant une grande ouverture vitrée vers l’extérieur. Si j’appuie sur la vitre, je passe le doigt à travers. » À
peine une image.
La sobriété énergétique s’invite dans le débat local. Fallait-il attendre la crise de l’énergie ? L’élu local, qui vient de lancer son plan « Mandelieu énergies 20232025 », s’en défend. « L’explosion des coûts est un accélérateur, pas un déclencheur. Mais un plan de sobriété est un domaine extrêmement compliqué, qui demande un diagnostic, de l’analyse technique, des financements. Nous l’avons engagé depuis plusieurs années. »
Autre argument, rappelé par le maire, les technologies du renouvelable n’ont pas été compétitives pendant longtemps. Pas assez rentables, trop incertaines.
Mais Sébastien Leroy en convient : « Des années d’énergie bon marché » n’ont pas facilité la prise de décision. Y compris pour la rénovation des bâtiments, « qui coûte plus cher que de construire ».
La nuit dans la nuit
Désormais, un consensus semble
se dessiner. « Je crois que les citoyens ont évolué à ce sujet, plaide
l’élu. Ils sont disposés à des économies. Cela n’aurait pas été le cas il y a deux ans en arrière. On aurait eu des huées. »
Cette fois, le maire fait référence non à l’épaisseur des vitres, mais
à l’extinction nocturne des lampadaires, sur au moins 80 % du territoire.
« On l’avait envisagé par le passé, mais l’intérêt économique
était moindre », admet-il. Depuis le 1er novembre, une grande partie des axes routiers de la commune plonge dans l’obscurité entre minuit et 5 h.
Sur l’avenue de la Mer, une riveraine hoche la tête. « On se disait quand même : pourquoi pas mettre un lampadaire sur deux ?, interroge
Cathy. Juste pour avoir un peu de lumière, pour ceux qui ont peur. »
Le risque d’insécurité, ou le sentiment d’insécurité, est un argument récurrent des détracteurs de ces moments d’obscurité totale. «Si je n’avais pas 240 caméras de vidéosurveillance dans la ville, qui sont équipées de vision nocturne, je n’aurais pas éteint », réagit le maire.
« Tant que les gens ne paient pas… »
Sur la facture communale, les cinq heures d’extinction représentent une économie de 80 000 euros par an. Autant dire, modeste. « L’important, c’est le message, revendique le maire. L’énergie n’est plus un bien qu’on peut avoir partout, la
nuit. » Un professionnel du tourisme opine du chef quand on lui parle sobriété. « Tant que les gens ne paient pas, l’écologie ne les intéresse pas. » Lui a commencé, depuis plusieurs années, à rénover les studios qu’il loue.
« Ça se voit tout de suite, s’exclamet-il. Là où je n’ai pas fait les travaux, je passe autant de chauffage pour quatre vacanciers que pour dix
dans un studio refait. » Pourtant, sa note d’électricité augmente encore. À l’échelle de la commune, la facture énergétique de Mandelieu-laNapoule a bondi de 35 % en un an, c’est-à-dire 800 000 euros en plus, sonnants et trébuchants.
Selon l’enquête récente de l’Observatoire de la démocratie de proximité (1), « la crise énergétique produit une autre crise énergétique » : les investissements nécessaires à la transition sont menacés par l’assèchement des finances locales. En poupées russes.