Le bien triste mystère de la villa Las Vegas à Nice
Les occupants de cette demeure à Nice nord se plaignent d’être privés d’électricité, de gaz et d’eau. Or la plupart sont sans titre et les conditions du décès du propriétaire interrogent.
Sur la mosaïque ébréchée de l’immense salon trône encore un piano à queue blanc. Dans l’allée, une vieille Cadillac aux pneus fatigués complète le décor. Quelques mètres plus loin, assis sur le perron de l’ancienne salle de billard, un homme mutique attend on ne sait quoi. Porte grande ouverte malgré le froid. « De toute façon, ils nous ont coupé le gaz et l’électricité », souffle un des « résidents » de la villa Las Vegas.
Témoin à la barre dans l’affaire Agnelet
Difficile de dire combien ils sont exactement. Les Guinéens du premier semblent s’être volatilisés. Mais il y a là un couple d’Albanais avec leur bébé de 13 mois, deux Roumains (l’huissier en atteste), un vieil Italien et sa femme… Ainsi que José, maçon à la retraite. Il dit avoir construit de ses mains une partie de cette villa à l’architecture baroque, qui surplombe l’échangeur autoroutier de Nice Nord.
Lui et « Monsieur Bernard » se sont connus « à la grande époque ». « Celle des casinos », « celle où on flambait avec M. Bernard… Enfin, lui plus que moi », se reprend le maçon.
« M. Bernard », ou encore «Le Gros », tels étaient les alias de Bernard Magnin dans le milieu. Un voyou, mais un « voyou droit », c’est ainsi que ce receleur bien connu s’était lui-même présenté à la barre de la cour d’Assises de Rennes (Ille-et-Vilaine), en 2014, à l’occasion du troisième procès Agnelet. Magnin était convoqué en tant que témoin. Cinq ans plus tôt, c’est sur le banc des prévenus qu’il devait répondre d’un trafic d’armes. Des pistolets de gros calibres, des mitraillettes et assez de munitions pour tenir un siège avaient été retrouvés chez lui. À l’occasion d’une énième perquisition de la villa Las Vegas.
« Comme s’il n’y avait pas assez de misère »
Bernard Magnin est décédé le 24 octobre à l’âge de 85 ans. Mais son antre est le théâtre décrépit d’une nouvelle affaire judiciaire. Sur fond de plaintes croisées… et de suspicion d’homicide ! Cette semaine, une partie des « résidents » de la villa Las Vegas s’est rendue en convoi au commissariat. Ils accusent les héritiers Magnin de vouloir les faire « partir de force ». Quitte à leur couper eau, gaz et électricité. «En dépit de la trêve hivernale. » « Comme s’il n’y avait pas assez de misère comme ça », tempête Véro (1).
Leurs conditions d’hébergement n’ont pourtant rien d’enviables. « Mais c’est chez nous », résume José, le maçon de 75 ans qui vit là avec Claudine. « Depuis six ans, assure-t-il. Contre un loyer de 600 euros par mois tout compris. C’était bien, il n’y avait pas de factures à payer en plus… » Et pour cause : il n’y a pas non plus de compteurs individuels.
Ni bail d’ailleurs, pour au moins la moitié des « pensionnaires ». En guise d’autorisation d’occupation, Thacaj l’Albanais brandit une attestation d’hébergement. Dans la pièce du second étage qu’il occupe avec sa compagne, une casserole bout en permanence. « C’est notre seul chauffage », souffle-t-il. Simon, leur petit de 13 mois, est emmitouflé dans sa grenouillère. Ronald (1), explique quant à lui qu’il ne quitte plus son bonnet, « même pas pour dormir ». Mais il n’a « nulle part ailleurs où aller ». Alors, comme les autres, il en veut aux enfants de Magnin le flambeur de les mettre dehors pour récupérer la villa.
Sauf que ces derniers (lire ci-dessous), qui se seraient bien passés de cet héritage, s’en défendent.
1. Les prénoms ont été changés à leur demande.