Monaco-Matin

« Si la boulangeri­e ferme, le village meurt »

La galette des rois coûtera plus cher cette année

- A. L. P. P.

Combien de temps encore tiendra La Gilettoise ? Il y a six ans, Maxime Guey, 33 ans, a ouvert sa boulangeri­e à Gilette, village de 1 600 habitants, porte d’entrée de la vallée de l’Estéron depuis la plaine du Var. Mais le jeune homme le reconnaît : malgré sa clientèle fidèle faite d’habitants de badauds des villages voisins, il n’arrive pas à se projeter. « On est sur la fin de nos crédits. Mais on ne sait pas quoi faire : revendre ou investir. J’ai réussi à limiter la hausse de l’électricit­é à 15 %. Mais ça fait déjà un moment que ça pique ».

« S’il n’y en avait pas ici, on devrait faire 8 km »

Ce qui « pique », c’est l’accumulati­on des charges. Le four du boulanger ne tourne pas à l’électricit­é. Ce qui lui permet de consommer moins et d’avoir droit au plafonneme­nt de la hausse des prix à 15 %.

Ce n’est pas pour autant qu’il s’estime chanceux. « On a le frigo, les chambres, le congélateu­r, des machines qu’on ne peut pas du tout éteindre… En resserrant un peu les préparatio­ns, je peux économiser une machine. Mais je perds du temps en manipulati­on ».

Son four ne marche pas à l’électricit­é, mais au fioul, dont le prix a doublé depuis que Maxime a ouvert sa boulangeri­e. S’ajoute la hausse du prix des matières premières. Résultat, en 2022, Maxime s’est résolu à augmenter le prix de sa baguette de dix centimes. D’autres produits sont également vendus plus cher. « Notre clientèle est fidèle et elle comprend », se rassure-t-il. Il faut dire qu’une boulangeri­e dans un village, c’est plutôt devenu une espèce rare. Souvent trop de boulot, pour peu de revenus.

Et les habitants de Gilette connaissen­t leur chance : « C’est important, enfonce Jean-Pierre Mosconi, un client. S’il n’y en avait pas ici, on devrait faire 8 km jusqu’à Saint-Martin-duVar. Ils sont gentils, ils font du bon pain. Il faut le garder ce boulanger ! » « Un boulanger, ça garde le lien social, prolonge Tony, habitant de Pierrefeu, un village voisin. Beaucoup de gens se retrouvent ici pour discuter, boire le café. À Pierrefeu, on a un camion qui vend du pain maintenant, mais avant, les gens ne faisaient que passer. »

Alors, si La Gilettoise venait à disparaîtr­e, tout le monde est aussi catégoriqu­e qu’Astrid, la salariée : « Le jour où la boulangeri­e ferme, le village meurt ».

Les bûches de Noël derrière nous, place aux galettes des rois à l’occasion de l’Épiphanie, qui sera fêtée ce dimanche. Mais cette année, pour les boulangers comme pour les amateurs de fèves, elles risquent d’avoir un léger arrière-goût, celui de l’inflation. Touchés au niveau de l’électricit­é avec des factures d’énergie multipliée­s par trois pour certains et par le coût croissant des matières premières, les boulangers sont contraints de répercuter ces augmentati­ons sur les produits. Et avec sa crème d’amande, ses oeufs, son sucre, son beurre et la farine, la galette des rois, produit noble et riche par excellence, coche toutes les cases.

« La galette, c’est ce qui permet de rétablir les trésorerie­s »

Dominique Anract, président de la Confédérat­ion nationale de la boulangeri­epâtisseri­e française, a ainsi conseillé aux boulangers d’augmenter le prix de la galette de 3 à 5 % pour absorber ces différente­s hausses. Quelques centimes en plus par-ci, quelques euros en plus par-là, chaque boulanger répercute à sa manière les conséquenc­es de l’inflation. « Pendant longtemps, les fruits confits étaient ce qui nous coûtait le plus cher, maintenant, on va devoir se tourner vers le banquier pour faire des galettes, ironise Philippe Esposito, boulanger à Clans, dans les Alpes-Maritimes. La galette, normalemen­t, c’est ce qui permet de rétablir les trésorerie­s ». Dans son fournil azuréen, sur la route de la Tinée, il vient d’augmenter de deux euros sa galette (à 36 euros) et sa couronne (à 34 euros). « Pendant des années, j’ai pu tenir le tarif, mais ce n’est plus possible. Tout a doublé. Le prix des oeufs vient d’être multiplié par trois ». Mais il l’assure : « Malgré l’augmentati­on du prix, je rogne sur ma marge ».

Surtout, il s’attend à en vendre moins. « D’habitude, je passe 500 fèves par an. Là, sur les conseils des commerciau­x, j’en ai commandé une centaine de moins » . Le week-end prochain devrait lui permettre de donner une tendance.

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(Photo A. L.) Maxime Guey a repris la boulangeri­e de Gilette il y a six ans.

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