« La retraite demeure une compensation »
Pourquoi le sujet de la retraite est-il si sensible ?
Dans les années 50, les gens, lorsqu’ils commençaient à travailler, passaient une sorte de contrat moral avec la société. Leur boulot était dur, mais en contrepartie, ils avaient la promesse de compensations en fin de carrière, comme une sortie plus tôt. Tout ça s’est gâté, déjà, avec le premier choc pétrolier, qui a engendré du chômage. Mais l’idée de la retraite comme un dû restait quand même dans les esprits. Dès qu’il y avait des dispositifs de préretraites, les gens étaient volontaires. Et on n’est plus aujourd’hui dans les trajectoires professionnelles des années 50, où on entrait dans le travail à 17-18 ans, et où on en sortait à 60.
La gestion des carrières a changé ?
Aujourd’hui, l’âge moyen d’entrée dans la vie active pour un jeune est 22,7 ans, et pour 34 % d’entre eux, cela se fait à temps partiel. Le processus est progressif, passe par de l’intérim, des CDD, des périodes de chômage. C’est une entrée compliquée.
Donc, une personne, après avoir cotisé 43 ans, sortira à 66 ans ! Quant à ceux qui entrent plus tard dans le monde du travail parce qu’ils font des études longues, ils trouvaient aussi une forme de compensation en accédant à des postes où la pénibilité est moindre. Mais là encore, ce n’est plus vrai, car il y a un mécanisme de déclassement en cascade. L’Éducation nationale produit de plus en plus de diplômes, et les personnes les plus diplômées se présentent à des concours excluant de fait ceux qui auraient pu y prétendre avec moins de diplômes et se retrouvent rétrogradés. Le diplôme n’est plus prédictif d’un niveau d’emploi mais d’un temps de chômage : plus on est diplômé, moins on attend.
La retraite reste donc un moment attendu ?
L’âge de départ moyen à la retraite est d’un peu moins de 59 ans, ce qui signifie que si l’âge légal est de 64 ans, cela fait un trou de 5 ans durant lesquels les gens sont ailleurs. Et cela peut être au chômage ou en inaptitude. On sait que 26 % des plus de 59 ans ne cotisent plus car ils sont au chômage, en maladie, ou inaptes. On sait que dans les métiers où la pénibilité est élevée, les troubles musculo-squelettiques (TMS) explosent. Ces personnes-là attendent particulièrement l’âge de la retraite.
Mais l’attente ne concerne pas que les carrières où la pénibilité est forte ?
La vision du travail, aujourd’hui, est très pessimiste. La difficulté de recrutement que rencontrent bon nombre d’entreprises en est un indicateur.
Aujourd’hui, dans de nombreux secteurs, les postes sont soumis à une augmentation de la charge de travail, et à une baisse des moyens nécessaires pour l’accomplir. On le voit aussi dans des métiers intellectuels, comme chez les magistrats, par exemple. Il y a une usure mentale qui touche même des professions auxquelles on ne pense pas forcément. Les cadres faisaient le tampon, mais aujourd’hui, c’est une des catégories qui souffrent le plus.
Si les gens perdent la perspective d’une retraite vécue comme une compensation, leur rapport au travail va se dégrader. Ils vont se désinvestir.