Monaco-Matin

Nice : le sacristain au grand coeur menacé de licencieme­nt

« Le père veut me mettre dehors parce qu’il veut moins de pauvres » devant l’église du Voeu, affirme Christophe. Faux, rétorque le curé. Le quartier et des fidèles s’émeuvent.

- LAURE BRUYAS lbruyas@nicematin.fr

Dix-neuf heures, la nuit est tombée depuis longtemps. Noire. Une ombre se dessine dans la lumière qui s’échappe à flots par la porte grande ouverte de la sacristie de l’église du Voeu, au bord de la Promenade du Paillon. La silhouette encombrée de sacs avance pesamment. « ‘soir, hi, gut’nacht », crachote Flora à travers son râtelier à trous en déposant son fardeau sur le linoléum usé. « Bonsoir Flora », salue Christophe.

Le sacristain désigne d’un signe de tête la bouilloire où l’eau glougloute : « Tu veux un thé à la menthe ? » « Non merci », répond la clocharde sans âge avant de s’absorber dans le contenu de ses sacs remplis de bouts de ficelle, de prospectus, de bouquins cornés, de tout et de rien à la fois.

« Le curé veut me mettre dehors »

Christophe la regarde. Sourit. Mais ce soir, le coeur n’y est pas. Il tire un papier de la poche avant de sa serviette : « Le curé veut me mettre dehors ».

« Dehors, dehors ? », répète en écho Flora avant de retourner à son fatras sans queue ni tête.

« Il m’a demandé : ‘‘Chasse les pauvres qui sont devant l’église’’, j’ai dit : ‘‘Non, je n’ai pas le droit, je dois les aider’’ », poursuit Christophe en tendant la lettre. C’est une convocatio­n à un entretien préalable au licencieme­nt, prévu le 10 janvier, signée de la main du père Frédéric Sangès. « Mais moi, j’ai rien fait de mal, je suis honnête… C’est comme si j’étais un voleur, comme si on me mettait un couteau dans le coeur », se défend Christophe dans un sabir mâtiné d’accent marocain.

(1) Le Maroc, pays où il est né il y a 63 ans, où il a grandi musulman.

Ancien musulman converti

Après une vie cabossée, il a embrassé la religion catholique et a été baptisé en 2013 par le père François-Régis Jamin et l’évêque de l’époque, Mgr Marceau. Depuis 2013, il est au service de l’église du Voeu et a décroché un CDI en 2020.

Ici, tout le monde connaît ce petit homme râblé toujours à s’affairer pour les sans-abri qui toquent à sa porte pour un café, pour Flora, sa protégée, qui dort sous un porche de l’église et pour les migrants qui crèchent sur le parvis. Sa détresse émeut les fidèles et le quartier. « Je ne comprends pas ce qu’il se passe, s’interroge une commerçant­e. Je pars tard le soir, je vois les tentes, les pauvres. Il leur donne à manger, il donne de son temps, il est humain à bloc. Je pensais que c’était ça l’Église… »

« Il y a d’autres raisons… »

À deux pas, Sophie, architecte, participe à la distributi­on des petits-déjeuners chaque jeudi : « C’est quelqu’un qui s’implique et qui tient bien la barre : il n’y a pas de débordemen­ts, les SDF ne sont pas là la journée. Si c’est ça, le motif de sa convocatio­n, c’est incompréhe­nsible et décalé ».

Des paroissien­s aussi montent au créneau. Maria, qui était au repas des démunis le soir du réveillon du 31, est « bouleversé­e » : « Qu’est-ce qu’être chrétien aujourd’hui ? J’ai dû rater quelque chose. »

Ou Barbara : « Être chrétien, c’est défendre les plus faibles, et les plus faibles c’est Flora et les autres. Christophe se lève aux aurores pour eux. Si on préfère mettre des fleurs sur le parvis plutôt que d’aider ceux qui sont dans le besoin pour faire plaisir à de vieilles bigotes et de vieux bigots, j’irai prier seule chez moi. »

Un fidèle tempère : « C’est vrai qu’un entretien préalable au licencieme­nt ce n’est pas habituel dans l’Église, mais il doit y avoir d’autres raisons, je ne peux pas croire que ce soit cela. »

1. Une langue mêlée d’arabe, de français, d’espagnol et d’italien, parlée dans le bassin méditerran­éen.

 ?? (Photo Frantz Bouton) ?? Christophe et Flora, une de ses protégées, à la veille de Pâques l’année dernière.
(Photo Frantz Bouton) Christophe et Flora, une de ses protégées, à la veille de Pâques l’année dernière.

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