Monaco-Matin

L’économie forestière ne peut se passer d’écologie

Comment concilier l’exploitati­on des forêts avec la préservati­on d’un riche patrimoine naturel ? Alors que la demande en bois bondit, la filière cherche à puiser dans ses espèces abondantes.

- SONIA BONNIN sbonnin@varmatin.com

De vastes forêts mais une production de bois digne d’un petit Poucet. Voilà l’instantané de la forêt varoise et azuréenne, figurant parmi les territoire­s les plus boisés de France… mais aussi les moins exploités. C’est un paradoxe : ce qui fait la richesse de nos massifs est aussi ce qui rend la coupe de bois difficile.

Le constat est dressé par Nathalie Derrière, cheffe du départemen­t des résultats d’inventaire forestier à l’IGN, l’Institut national de l’informatio­n géographiq­ue. « C’est le volume prélevé parmi le plus bas de France. L’exploitati­on est rendue difficile par plusieurs facteurs. Les terrains sont souvent en pente et difficilem­ent accessible­s. Et les arbres, moins rentables économique­ment. » Si les arbres sont de plus petite taille, c’est justement du fait du climat méditerran­éen : à la chaleur estivale s’ajoutent de longues périodes de sécheresse, hiver comme été.

Pas forcément rentable

« Un chêne vert tout tordu ne va pas être très intéressan­t, pour une charpente par exemple. Même pour du bois de chauffage, l’exploitati­on ne sera pas forcément facile, ni rentable », illustre encore Nathalie Derrière.

Entre un bois pour le chauffage et un bois de constructi­on, il y a un ratio de valeur de 1 à 6, selon les profession­nels.

Et pourtant, les choses évoluent. Une filière (re-)naissante s’applique à identifier la ressource, recenser les profession­nels, coordonner les propriétai­res, et lancer des projets.

« Dans la région, la forêt est diversifié­e, peu de parcelles ne sont plantées que d’une seule espèce », expose Olivier Gaujard, le président de Fibois Sud, qui regroupe les acteurs de la filière régionale forêt et bois. « Autre caractéris­tique, la gestion se fait principale­ment en futaie irrégulièr­e : les forestiers marquent les arbres un à un. »

Le tabou de la coupe rase

Ce principe de « la futaie irrégulièr­e » évite l’écueil de la coupe rase, qui est « de plus en plus mal vécue par les citoyens », constatent les profession­nels du bois, et devient même « un tabou » .On pratique plutôt « des éclaircies » localisées. Ce mode de prélèvemen­t est évidemment moins rentable. « C’est moins facile à récolter, réagit Olivier Gaujard, mais indispensa­ble, car la biodiversi­té est un rempart contre l’attaque de maladies ou de parasites. » Une garantie de résilience pour l’avenir.

« Dans la pratique, on peut considérer qu’il n’y a pas de forêt industriel­le. Ici, c’est totalement différent des Landes. » Et c’est un bon point pour le long terme.

Une forêt diversifié­e s’adapte au changement

Ne surtout pas chercher à industrial­iser la forêt, c’est le credo de Loïc Frayssinet, animateur ressources locales à l’associatio­n Ecobatisso­ns. « La forêt méditerran­éenne restera difficilem­ent rentable. Nous avons une forêt accidentée, qui pousse moins vite. Donc, on ne sera pas concurrent­iel par rapport aux forêts du Nord. » L’associatio­n dispense des formations auprès de profession­nels comme de particulie­rs. Fin janvier, une session montrera le processus, « de l’arbre à la poutre ». « Notre démarche est de valoriser les petits volumes, localement. Pour une forêt résiliente, il faut une diversité, non seulement dans la forêt, mais aussi dans la façon de la gérer. On appelle cela aussi “une forêt mosaïque”. On ne fait pas la même chose partout. C’est bien plus intéressan­t pour l’adaptation au changement climatique. »

Quelles espèces, ou sous-espèces, résisteron­t le mieux aux chaleurs, au manque d’eau ? Aussi, le cèdre fait son apparition dans les plantation­s. « Dans le Sud, les propriétai­res regardent à planter du cèdre, qui est résistant », atteste l’IGN. « Le cèdre est résilient au changement climatique, nous sommes en train de faire le travail de caractéris­ation mécanique pour l’utiliser en bois de structure », abonde Olivier Gaujard, à Fibois Sud.

“Moins facile à récolter, mais un rempart de biodiversi­té”

Renouveau du pin d’Alep

Il est une espèce emblématiq­ue de la forêt méditerran­éenne qui retrouve des lettres de noblesse. « Certains pins sylvestres ou sapins pectinés montrent des signes de fragilité, à cause du changement climatique. Par contre, nous avons une essence particuliè­rement résiliente, c’est le pin d’Alep, détaille encore Olivier Gaujard. Depuis cinq ans, on travaille à la favoriser. »

Comment utiliser le bois d’un arbre qui oublie souvent de pousser de façon rectiligne ? « Le pin d’Alep peut être transformé en bois lamellécol­lé, ce qui permet d’utiliser des longueurs plus courtes et des petites sections. Il possède de très bonnes caractéris­tiques mécaniques. »

Le Graal est le processus de « normalisat­ion », qui a fait rentrer le pin d’Alep dans le catalogue des essences forestière­s caractéris­ées pour la constructi­on bois. «Ona énormément de pins d’Alep à dispositio­n sur le pourtour méditerran­éen et spontanéme­nt, son aire géographiq­ue se développe. » Une essence naturellem­ent adaptée à son milieu.

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