L’économie forestière ne peut se passer d’écologie
Comment concilier l’exploitation des forêts avec la préservation d’un riche patrimoine naturel ? Alors que la demande en bois bondit, la filière cherche à puiser dans ses espèces abondantes.
De vastes forêts mais une production de bois digne d’un petit Poucet. Voilà l’instantané de la forêt varoise et azuréenne, figurant parmi les territoires les plus boisés de France… mais aussi les moins exploités. C’est un paradoxe : ce qui fait la richesse de nos massifs est aussi ce qui rend la coupe de bois difficile.
Le constat est dressé par Nathalie Derrière, cheffe du département des résultats d’inventaire forestier à l’IGN, l’Institut national de l’information géographique. « C’est le volume prélevé parmi le plus bas de France. L’exploitation est rendue difficile par plusieurs facteurs. Les terrains sont souvent en pente et difficilement accessibles. Et les arbres, moins rentables économiquement. » Si les arbres sont de plus petite taille, c’est justement du fait du climat méditerranéen : à la chaleur estivale s’ajoutent de longues périodes de sécheresse, hiver comme été.
Pas forcément rentable
« Un chêne vert tout tordu ne va pas être très intéressant, pour une charpente par exemple. Même pour du bois de chauffage, l’exploitation ne sera pas forcément facile, ni rentable », illustre encore Nathalie Derrière.
Entre un bois pour le chauffage et un bois de construction, il y a un ratio de valeur de 1 à 6, selon les professionnels.
Et pourtant, les choses évoluent. Une filière (re-)naissante s’applique à identifier la ressource, recenser les professionnels, coordonner les propriétaires, et lancer des projets.
« Dans la région, la forêt est diversifiée, peu de parcelles ne sont plantées que d’une seule espèce », expose Olivier Gaujard, le président de Fibois Sud, qui regroupe les acteurs de la filière régionale forêt et bois. « Autre caractéristique, la gestion se fait principalement en futaie irrégulière : les forestiers marquent les arbres un à un. »
Le tabou de la coupe rase
Ce principe de « la futaie irrégulière » évite l’écueil de la coupe rase, qui est « de plus en plus mal vécue par les citoyens », constatent les professionnels du bois, et devient même « un tabou » .On pratique plutôt « des éclaircies » localisées. Ce mode de prélèvement est évidemment moins rentable. « C’est moins facile à récolter, réagit Olivier Gaujard, mais indispensable, car la biodiversité est un rempart contre l’attaque de maladies ou de parasites. » Une garantie de résilience pour l’avenir.
« Dans la pratique, on peut considérer qu’il n’y a pas de forêt industrielle. Ici, c’est totalement différent des Landes. » Et c’est un bon point pour le long terme.
Une forêt diversifiée s’adapte au changement
Ne surtout pas chercher à industrialiser la forêt, c’est le credo de Loïc Frayssinet, animateur ressources locales à l’association Ecobatissons. « La forêt méditerranéenne restera difficilement rentable. Nous avons une forêt accidentée, qui pousse moins vite. Donc, on ne sera pas concurrentiel par rapport aux forêts du Nord. » L’association dispense des formations auprès de professionnels comme de particuliers. Fin janvier, une session montrera le processus, « de l’arbre à la poutre ». « Notre démarche est de valoriser les petits volumes, localement. Pour une forêt résiliente, il faut une diversité, non seulement dans la forêt, mais aussi dans la façon de la gérer. On appelle cela aussi “une forêt mosaïque”. On ne fait pas la même chose partout. C’est bien plus intéressant pour l’adaptation au changement climatique. »
Quelles espèces, ou sous-espèces, résisteront le mieux aux chaleurs, au manque d’eau ? Aussi, le cèdre fait son apparition dans les plantations. « Dans le Sud, les propriétaires regardent à planter du cèdre, qui est résistant », atteste l’IGN. « Le cèdre est résilient au changement climatique, nous sommes en train de faire le travail de caractérisation mécanique pour l’utiliser en bois de structure », abonde Olivier Gaujard, à Fibois Sud.
“Moins facile à récolter, mais un rempart de biodiversité”
Renouveau du pin d’Alep
Il est une espèce emblématique de la forêt méditerranéenne qui retrouve des lettres de noblesse. « Certains pins sylvestres ou sapins pectinés montrent des signes de fragilité, à cause du changement climatique. Par contre, nous avons une essence particulièrement résiliente, c’est le pin d’Alep, détaille encore Olivier Gaujard. Depuis cinq ans, on travaille à la favoriser. »
Comment utiliser le bois d’un arbre qui oublie souvent de pousser de façon rectiligne ? « Le pin d’Alep peut être transformé en bois lamellécollé, ce qui permet d’utiliser des longueurs plus courtes et des petites sections. Il possède de très bonnes caractéristiques mécaniques. »
Le Graal est le processus de « normalisation », qui a fait rentrer le pin d’Alep dans le catalogue des essences forestières caractérisées pour la construction bois. «Ona énormément de pins d’Alep à disposition sur le pourtour méditerranéen et spontanément, son aire géographique se développe. » Une essence naturellement adaptée à son milieu.