Ursula Meier et Valeria Bruni-Tedeschi
« LA VIOLENCE N’EST PAS FORCÉMENT OÙ L’ON PENSE »
omment avez-vous travaillé cette scène d’ouverture, une bagarre entre une mère et sa fille, filmée au ralenti, sur fond de musique classique ?
Ursula Meier : C’est une scène très importante, imaginée comme un Big Bang, un feu d’artifice de violence dont les ondes vont se répercuter tout au long du film. En même temps, je ne voulais pas être dans un réalisme cru mais dans une esthétique. Le ralenti était donc écrit et il s’agit de la seule séquence pour laquelle j’ai fait appel à un story-boarder. Il s’agissait d’être très précis sur les moments qu’on décidait de conserver, parce qu’on avait énormément de rushs à
Valeria Bruni-Tedeschi : Oui, mais on avait répété. J’apprécie beaucoup les répétitions. Elles permettent de préciser les choses. On trouve ensuite une liberté de jeu. Cette lutte était une chorégraphie. Ursula Meier voyait Margaret, que joue Stéphanie Blanchoud, comme un lion en cage, quelqu’un que l’on retient.
De mon côté, j’ai éprouvé une certaine jouissance : devant un fauve on a peur mais on a envie de l’apprivoiser… Et à un moment, je pensais y arriver ! C’était cependant une fausse accalmie.
Représenter la violence à l’écran, un défi ?
U. M. : Il faut la doser. On avait décidé avec Stéphanie Blanchoud que tout devait passer par le corps, que Margaret réagisse à chaque fois qu’on la touche. Pour Christina, qu’interprète Valeria Bruni-Tedeschi, l’intérêt était de la présenter comme une victime. C’est elle qui reçoit un coup. Peu à peu, on s’aperçoit que la violence n’est pas forcément où on pense… Ce personnage me touche. On s’imagine que cette femme pianiste est tombée enceinte très jeune, l’obligeant à faire le deuil d’une carrière qui aurait pu être magnifique. Lorsqu’on la voit écouter sa musique, de l’humanité jaillit.
V. B.-T. : La blessure physique causée par sa fille fait que Christina renonce une seconde fois à la musique. Je me sentais liée à cette violence. Ella a en effet une violence toxique, animale, perverse, frontale, alors que la mienne est plus sophistiquée, voire sournoise. Je la cache, sans doute par mon éducation mais elle jaillit parfois de manière impulsive. Cette violence est aussi tempérée par la dépression. J’oscille entre les deux et je pense que Christina est aussi dans ce mal-être. Sans compter qu’elle n’a pas conscience de sa dureté. J’apprécie particulièrement ce type de rôles, ils me permettent de parler de ce qui n’est pas beau en moi.
Avez-vous pensé le scénario en fonction de ce décor, cette bourgade enneigée à l’écart du monde ?
U. M. : Il y a beaucoup de mouvements dans le paysage, notamment avec cette présence des trains qui n’ont de cesse de passer, au contraire des gens qui ne se déplacent pas. Au départ, je pensais à une rue d’un quartier américain, très large avec des villas sur le côté. On a parcouru toute la Suisse et on s’est rendu à l’évidence : cet endroit n’existe pas. En discutant avec ma chef opératrice Agnès Godard, je me suis rendu compte qu’elle avait en tête autre chose. On a donc repensé entièrement le décor et on a trouvé rapidement cette bourgade, avec ce canal, cette voie ferrée… Un endroit étrange, un assemblage hétéroclite, où il y a aussi bien des tours HLM que la Marina avec des bateaux. J’aime cette idée que ce conflit ne soit pas lié à la condition sociale.
« J’apprécie ce type de rôles, ils me permettent de parler de ce qui n’est pas beau en moi »
Un petit mot sur la musique, elle joue un rôle capital…
U. M. : Elle est le liant entre les personnages. C’est en effet le seul héritage positif que laisse Christina. Elle a transmis cette passion à Margaret, qui à son tour la partage avec sa jeune soeur. C’est assez beau de se dire que cette mère n’a pas tout raté !