« L’uniforme pose plus de problèmes qu’il n’en résout »
Sociologue parisien et responsable de l’atelier de recherches en sciences sociales à la Maison des sciences de l’Homme, Abou Ndiaye a largement travaillé sur le sujet, notamment dans son livre L’ordre vestimentaire (2014 L’Harmattan). Ses conclusions dépassent le milieu scolaire et parlent de l’ensemble de notre société.
Comment considérez-vous le port de l’uniforme en milieu scolaire ?
Le fond du fond du problème n’est pas de gommer les inégalités. Le propos de ceux qui mettent en avant l’uniforme sous-tend avant tout de gommer les singularités. Une contradiction alors que l’on proclame que nous sommes le pays de la liberté et des droits de l’Homme, donc où l’on peut mettre en avant ou non ses singularités. Je ne connais pas de jeunes qui reviennent d’un voyage à l’étranger où le port de l’uniforme est obligatoire avec l’envie d’en adopter un aussi !
Pourquoi ce serpent de mer bien français ?
Nous sommes le seul pays au passé non totalitaire où la question de la tenue vestimentaire à l’école revient sempiternellement. En vérité, à chaque fois que cela ressort, c’est toujours autour de la question identitaire “Qui sont les jeunes Français aujourd’hui ?” En arrière-plan, nous avons les combats autour de « l’assimilation » et « l’intégration » qui vont bien au-delà du discours du Rassemblement national. Ce débat pose aussi la question des valeurs. D’où la corrélation avec le genre, entre hommes et femmes ou le port du voile.
Aucun argument en faveur de l’uniforme ?
Instaurer l’uniforme à l’école est une très mauvaise idée car cela va poser plus de problèmes qu’il n’en résoudra. Ce sont des âges où l’on a besoin de s’expérimenter à travers tout ce que les adultes posent comme règles. La tenue vestimentaire en fait partie dans toutes les familles de France. Et puis, si l’idée est de régler toutes ces questions de « singularités », il n’y a aucune raison que cela s’arrête à l‘école. Ceux qui soutiennent l’uniforme pourraient, paradoxalement, très bien manifester contre ce qui se passe en Iran ou en Afghanistan, alors que là-bas ce n’est pas juste l’uniforme à l‘école, mais dans toute la société, principalement pour les femmes. Nous sommes dans des questions, sous des apparences de débat futile autour de bouts de tissus, qui soulèvent toute une panoplie de valeurs et de peurs.