Un aumônier varois accusé d’abus sexuels
Henri Suso est installé dans le diocèse de Fréjus-Toulon, sous le nom de Marie-Bernard d’Alès. Sous le coup d’une sanction canonique restée secrète, il n’a jamais été inquiété par la justice.
C’est une enquête édifiante parue hier dans La Croix L’Hebdo, sur un abus sexuel un peu particulier. Le journaliste s’est attaché à suivre une victime, Florent (1), pour comprendre comment ce quadragénaire fut sous emprise pendant 18 ans d’un prêtre croisé à l’internat catholique des Béatitudes, à Autrey dans les Vosges... allant jusqu’à l’innocenter. On apprend que dix anciens élèves du Cours Agnès-de-Langeac, destiné à des collégiens souhaitant devenir prêtres, ont subi des abus sexuels par deux prêtres officiant sous pseudonyme, Dominique Savio et Henri Suso.
Le second a, depuis, quitté les Vosges pour s’installer dans le diocèse de Fréjus-Toulon, sous le nom de Marie-Bernard d’Alès. D’après nos recherches, il est aujourd’hui l’aumônier de la communauté des soeurs dominicaines, à Salernes. Depuis 2021, le père officie également à la maison d’arrêt de Draguignan.
Un spécialiste de l’exorcisme
Après avoir couvert les agissements de son collègue alors qu’une première enquête était ouverte dès 2002 contre Dominique Savio, Henri Suso aurait abusé sexuellement de Florent pendant plusieurs années, l’invitant dans sa chambre dès mars 2003. « Je suis attiré par toi », aurait alors dit le prêtre de 48 ans à l’adolescent de 17 ans, avant de l’embrasser sur la bouche. Ensuite, c’est l’escalade. Mais les deux prêtres semblaient couvrir les agissements de l’autre. La Croix pointe ainsi « les nombreux dysfonctionnements dans l’exercice des responsabilités au sein de l’Eglise ».
« Bisous-thérapie » et toucher rectal
Selon les témoignages recueillis par le journal, Florent n’a pas été la seule victime d’Henri Suso, qui faisait également office d’infirmier à Autrey. Plusieurs anciens élèves évoquent une « bisous-thérapie », qui commence par le front et se termine sur la bouche, des massages du dos et des cuisses, voire un toucher rectal...
Alors que le prêtre a rejoint, dès 2009, le diocèse de Fréjus-Toulon, deux ans plus tard, Florent, alors âgé de 26 ans, écrit à la nouvelle autorité de tutelle d’Henri Suso, dans le Var. Sa lettre, crue, ne laisse place à aucun doute sur les agissements du religieux. Le père aurait tenté à plusieurs reprises de sodomiser Florent après l’avoir enlacé, nu dans son lit. D’après La Croix, Florent a reçu une réponse de l’évêque de Fréjus-Toulon, Mgr Dominique Rey, le remerciant « d’avoir brisé le silence ». « Au nom de l’Église, je viens demander pardon pour ces traumatismes psychiques et ces atteintes physiques inacceptables commis par un prêtre qui vous ont profondément blessé », écrit-il, promettant de se saisir de cette question « pour qualifier les faits (atteintes sexuelles et corruption de mineur) et vérifier leur prescription pour un éventuel signalement ».
Pendant les dix années qui suivent, aucune nouvelle du père Henri Suso cependant. Jusqu’à la sortie, en janvier 2022, du livre d’une mère de famille, Isabelle Laurent, Maman tu pardonnes toujours, qui raconte le suicide d’un ancien élève d’Autrey, évoquant au passage l’emprise d’un religieux anonyme...
que Florent reconnaît immédiatement.
Sanction canonique passée sous silence
Entre-temps, interrogé par des enquêteurs en 2009, le père Henri Suso se contente de témoigner sur les possibles agissements de son ex-collègue, Dominique Savio. «Il peut y avoir des gestes de compassion mal interprétés », raconte-t-il. Avant de charger les victimes. Il accuse ainsi un plaignant d’être « habité » par le diable. Et sa mère d’être une prostituée « consacrée à Satan ».
Grâce à la lettre de Florent à Toulon, « Henri Suso aurait fini par être reconnu coupable du délit d’abus sexuel continu sans violence, dans le cadre d’un procès pénal canonique en date du 2 octobre 2012 et, à ce titre, des mesures conservatoires lui ont été notifiées », explique
La Croix .Un « décret de mesures prudentielles aurait été pris en 2012, obligeant le prêtre à un suivi psychologique et psychiatrique pendant cinq ans, et lui interdisant de s’approcher de jeunes de moins de 25 ans pendant dix ans ». Problème, « les sanctions canoniques ne sont jamais rendues publiques ». « C’est la raison pour laquelle personne, à Toulon, ne s’est étonné qu’Henri Suso soit nommé aumônier du centre pénitentiaire de Toulon-La Farlède, qui compte de nombreux détenus de moins de 25 ans, dès le 4 janvier 2016. »
Le procureur de Draguignan a reçu un signalement du diocèse en février 2022. Le père Claude Sirvent, responsable de la cellule de veille contre les abus sexuels au sein du diocèse de Fréjus-Toulon, a promis à Florent que « la justice serait rendue ».
1. Le prénom a été changé.