Monaco-Matin

Nice, vraiment la ville la plus endettée de France ?

Christian Estrosi est attaqué tous azimuts sur sa gestion. La dette cumulée de la Ville et de la Métropole est pointée du doigt par l’ensemble de ses opposants. Mais qu’en est-il vraiment ?

- ERIC GALLIANO egalliano@nicematin.fr

Pour l’ancien chef de file de la gauche niçoise, Patrick Allemand, cette fois « nous y sommes » : « La dette atteint en cumulé aujourd’hui 2,6 milliards d’euros » et ce n’est pas à l’État de régler la note des « dérapages financiers » de Christian Estrosi. Ce sont les Niçois qui vont les payer « de leur poche », met aussi en garde Philippe Vardon, le conseiller municipal qui a adhéré au parti d’Éric Zemmour. Tout comme cela avait déjà été le cas en 2018, rappelle-t-il, lorsque Christian Estrosi avait dû déjà « créer un nouvel impôt métropolit­ain ». Si ce n’est que, cette fois, la ligne rouge aurait été franchie, à entendre Éric Ciotti, le vice-président en charge des finances au conseil départemen­tal : avec un trou de « 4 500 euros par habitant », Nice serait tout bonnement « la ville la plus endettée de France ! » Plus endettée même que Paris. Et pour cause, l’encours cumulé de la dette de la Ville et de la Métropole aurait été « multiplié par trois » depuis l’élection de Christian Estrosi à leur tête en 2008, affirme l’élu du groupe écologiste Jean-Christophe Picard. Mais qu’en est-il réellement ?

Une dette municipale stable

Émanation de la loi NOTRe de 2015, l’Observatoi­re des finances et de la gestion publique locales (OFGL) met en ligne les données financière­s des collectivi­tés. On y découvre que l’encours de la dette de la ville de Nice était en 2021 très exactement de 515 352 446,13 euros. Soit huit millions de plus qu’en 2014 (507 220 231,72 euros). La dette de la ville de Nice a donc progressé de 1,6 % au cours des sept années écoulées.

Moins élevée qu’à Antibes ou Cannes

Ramenée au nombre d’habitants, la dette niçoise s’élève à 1 498,60 euros. La capitale azuréenne est loin de détenir le record en la matière. La dette par habitant de petites communes telles qu’Ascros, Isola ou Villeneuve-d’Entraunes atteint même 6 000 euros par habitant. Celle de Péone, le fief du président du conseil départemen­tal, est de 3 846,50 euros, deux fois et demie supérieure à celle de Nice. Si l’on compare cette dernière au top 10 des villes les plus densément peuplées des Alpes-Maritimes, la capitale azuréenne arrive en fait en septième position. Antibes

a la dette par habitant la plus importante : 2 732,93 euros, soit 82 % de plus qu’à Nice. Juste devant Cannes : 2 682,75 euros, 79 % de plus.

« Alors même que ces communes n’ont pas à assumer les charges de centralité qui incombent de fait à Nice », souligne-t-on dans les rangs de Christian Estrosi. Les « charges de centralité », c’est ainsi que l’on nomme dans le langage administra­tif les dépenses liées à la présence d’infrastruc­tures collective­s telles que l’aéroport, l’université et un certain nombre de services publics qui ne profitent évidemment pas qu’à Nice, même si elle en assume l’essentiel de la charge…

Une Métropole qui creuse la dette

A contrario, les opposants au maire de Nice soulignent, à juste titre, qu’il n’est pas possible d’analyser la dette de la ville indépendam­ment de celle de la Métropole.

Or, celle-ci s’est bel et bien creusée ces dernières années. Elle est passée d’un milliard en 2014 à plus de 1,59 milliard en 2021. Soit une augmentati­on de 50 %. Dès lors, si on cumule la part municipale et la part métropolit­aine, la dette par habitant qui incombe aux Niçois est en réalité de 4 374,03 euros.

En tête des métropoles françaises, oui mais…

Lorsqu’il avance le chiffre de 4 500 euros de dette par habitant, Éric Ciotti exagère légèrement mais il n’est pas loin du compte. En revanche, dit-il vrai lorsqu’il affirme que Nice caracole en tête des métropoles les plus endettées ? Sur le papier, la réponse est oui. Même Paris s’en sort mieux, de peu certes, puisque sa dette par habitant est de 4 065 euros. Sauf que les deux « capitales » ne seraient pas vraiment comparable­s.

Philippe Pradal, l’ancien adjoint

aux finances de la ville de Nice, s’est empressé de le souligner : Paris, contrairem­ent à Nice, n’a pas à sa charge les investisse­ments liés à son réseau de transports en commun. En effet, la facture du métro parisien est réglée par un organisme public nommé Île-de-France Mobilités qui cumule lui-même plus de 9 milliards d’euros de dette. Au contraire de Nice, plusieurs métropoles ont ainsi fait le choix « d’externalis­er » leur réseau de transport. Et pas seulement sa gestion, comme le fait Lignes d’Azur.

L’exemple de Toulouse

C’est le cas de la communauté d’agglomérat­ion toulousain­e, comparable en taille à celle de Nice. Si elle peut se targuer d’avoir une dette par habitant deux fois moins élevée que la capitale azuréenne, c’est sans doute aussi parce que son tramway est payé par un syndicat mixte, Tisséo, dont la dette s’élève à plus d’1,3 milliard. Une structure à laquelle la Métropole Grand Toulouse n’a contribué qu’à hauteur de 103 millions d’euros l’an passé, alors même qu’elle annonçait l’extension de son réseau de tram d’ici à 2030. Un investisse­ment estimé à 2,7 milliards mais qui n’apparaîtra pas directemen­t dans ses comptes.

Non, la dette n’a pas triplé à Nice

Comparer les grandes villes de France ne peut donc se faire sans consolider l’ensemble des comptes publics. En revanche, il paraît plus aisé de comparer l’évolution dans le temps de la dette niçoise. C’est le choix du conseiller d’opposition Jean-Christophe Picard qui affirme que, parts communale et métropolit­aine cumulées, elle est passée « de 708 millions d’euros en 2007 à 2,11 milliards en 2019 ».

Sauf que la Métropole Nice Côte d’Azur « n’a été créée qu’en 2012 », rappelle l’adjoint au maire Gaël Nofri. Certes, il existait au préalable une communauté d’agglomérat­ion Nice Côte d’Azur mais elle n’avait ni le même périmètre, ni les mêmes compétence­s. Donc, pour comparer ce qui est à peu près comparable, depuis la création de la Métropole Nice Côte d’Azur, l’encours cumulé de la dette par habitant est passé de 3 438,29 euros en 2014 à 4 374,03 euros en 2021. Soit une augmentati­on d’environ 30 % et non de 200 %.

Quel actif en regard ?

Est-ce pour autant soutenable ? Là est toute la question. Dans l’entourage du maire, on explique que les mêmes règles de bonne gestion que pour les particulie­rs s’appliquent aux collectivi­tés : « Regarder le niveau de la dette en soi n’a pas beaucoup de sens. L’important, c’est l’actif qu’il y a en face. » Or, celui-ci est évalué chaque année dans le compte de gestion. Il était de 2,9 milliards en 2008 pour la ville de Nice. Il est passé à 3,5 milliards en 2021. Soit une augmentati­on de 20,69 %… Qui atteint même 443 % sur la même période pour la Métropole dont l’actif est aujourd’hui estimé à 4,5 milliards alors que celui de la communauté d’agglomérat­ion Nice Côte d’Azur n’était que de 828 millions en 2008. Voilà qui fait dire à la garde rapprochée de Christian Estrosi que « le patrimoine public des Niçois a bien plus augmenté que la dette ».

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(Photo Sébastien Botella) Les infrastruc­tures de transport pèsent lourd dans la dette niçoise.

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