Monaco-Matin

Gad Elmaleh « C’EST ÇA, EN FAIT, LE STAND-UP »

L’humoriste revient sur scène avec son sixième spectacle, D’ailleurs, diffusé ce vendredi soir sur Canal+. L’occasion de faire le point avec un artiste pas vraiment comme les autres.

- MATHIEU FAURE mfaure@nicematin.fr D’ailleurs, ce vendredi soir à 21 h, sur Canal+. Une version longue de l’interview est disponible sur nos sites internets.

Pour un artiste qui ne vit que pour la scène, la crise sanitaire a été une véritable torture. Gad Elmaleh est de cette caste. Son dernier spectacle, D’ailleurs, diffusé ce soir sur Canal+, a été peaufiné durant le premier confinemen­t. Par obligation. Alors quand il a été de nouveau possible de se frotter au public, en live, l’artiste, qui vient de sortir son film le plus personnel, Reste un peu, s’est livré comme jamais : le passage de la cinquantai­ne, la paternité, la religion, les USA. Entre sens de l’observatio­n et autodérisi­on, Gad Elmaleh fait toujours mouche. C’est à l’hôtel Yelo, sur l’avenue Jean-Médecin à Nice, que nous avons passé plus d’une heure en tête à tête avec un homme simple, sain, drôle, qui se préparait à monter ensuite sur scène, à Menton, au théâtre Francis-Palmero.

Est-ce votre spectacle le plus intime ?

Oui. Je crois que la manière dont je l’aborde est différente, j’ai une maturité qui fait que j’assume plus facilement certains sujets, ça se ressent. Si j’avais abordé tout le chapitre des religions il y a dix ans, j’aurais été plus fragile pour le présenter au public. Là, non seulement je touche à des sujets qui peuvent crisper, mais je m’en amuse. Je me sers des trois religions majeures, le catholicis­me, le judaïsme et l’islam, pour les moquer avec affection. Il faut que je les dribble, que je les feinte. C’est mon spectacle le plus intime, le plus personnel.

Aborder le sujet des religions était-il quelque chose qui vous inquiétait ?

C’est un sujet qui m’habite. En décembre, j’ai rencontré le Pape. (Il marque une pause) Déjà, cette phrase, elle est folle. Tu imagines, la veille de le rencontrer j’ai dit à des potes : “Demain, je ne peux pas être avec vous, je vois le Pape.” (rires) Cela participe à une démarche personnell­e : la spirituali­té, la quête de sens, l’intérêt pour le christiani­sme, l’histoire avec la Vierge Marie. Tout ça, je l’aborde dans mon dernier film, très personnel, Reste un peu, qui parle de ça, de ma conversion au catholicis­me. Dans le spectacle, mon intérêt pour la spirituali­té est traité avec humour, avec des gags.

Le fait d’être né au Maroc et d’avoir été élevé dans une famille juive vous permet-il d’aborder ces thèmes plus facilement ?

Pour que ce soit accepté, il faut une forme de légitimité. Le fait d’être né dans un pays musulman, d’avoir été éduqué dans une famille juive, d’avoir côtoyé des chrétiens et d’étudier la théologie, ça me donne une forme de légitimé. Il y a de l’affection dans ce que je dis sur les religions dans le spectacle. Cela a plus d’impact de la part d’un juif né en terres d’islam de dire à un catholique de s’assumer en tant que tel. Je ne fais pas de l’évangélisa­tion en revanche, pas du tout. (rires)

Vous parlez aussi de votre expérience d’artiste aux USA. C’était l’un de vos rêves ?

Oui et non. J’ai eu la chance de faire des salles, des comedy, des talk-shows, mais il me manquait la connexion avec le public, la simplicité. J’avais une image d’Épinal du stand-up aux USA. Je voulais me retrouver chez Jimmy Fallon. C’est comme celui qui rêve d’aller sur une île déserte mais une fois que tu es sur l’île déserte, elle est déserte… J’ai vécu ce sentiment car il me manquait l’essentiel : mon oxygène affectif, artistique et créatif. Et cet oxygène, c’est la France.

Je n’avais pas ma famille, mes enfants, mes amis. J’étais seul. Il y avait un immense plaisir d’un côté et une immense solitude de l’autre. Mais j’ai beaucoup appris car, quand je suis revenu en France, j’étais encore plus fort sur scène.

Vous le ressentez ?

Oui. C’est comme un basketteur qui va en NBA pendant deux ou trois ans, quand il revient, ce n’est plus le même joueur. Il est plus efficace. J’avais plus de 45 ans quand je suis parti aux USA, je ne vais pas percer là-bas à 60 ans aussi, il faut le dire. Je me suis éloigné de mon public pour mieux le retrouver. J’ai fait une sortie d’autoroute et je suis revenu à la maison avec beaucoup d’amour, beaucoup d’affection. Et c’est plus simple. Ma vie est plus simple maintenant.

On sent que votre présence sur scène est différente, est-ce que cela fait partie de ce que vous avez appris aux USA ?

Oui, je suis le fil de mes idées, je ne suis plus dans l’interpréta­tion, c’est plus fluide et nature. Je viens pour vous dire des choses. C’est aussi ça d’avoir le micro à la main, c’est une manière de donner une importance quasiment solennelle à la parole. C’est ça, en fait, le stand-up.

La crise sanitaire a-t-elle eu un impact dans votre processus créatif ?

Le positif est venu du fait que j’avais des sujets à jouer et la crise m’a contraint à cogiter, à roder, à peaufiner. Je me suis rendu compte que pour tous mes prochains shows, je prendrais plus de temps à les livrer. Ce show a cet aspect plus fluide parce qu’il a été mariné par la force des choses. C’est un spectacle malaxé, plus abouti.

Est-ce facile de vieillir quand on fait de l’humour ?

C’est ma réalité. J’ai pris le parti d’être au contact de la nouvelle génération car j’en ai besoin. C’est comme avec tes enfants, tu te rends compte de quand tu es ringard grâce à eux. Ça te remet en place quelque part. Voir les jeunes, ça t’oblige de ne pas faire des trucs à l’ancienne. Je crois que l’on aura de moins en moins de place pour le côté sketch très écrit mot à mot, avec des personnage­s et des dialogues imaginaire­s.

Votre âge est-il une crainte ?

Vieillir ne m’effraie pas mais je m’interroge. Jusqu’à quel âge peut-on monter sur scène et faire des blagues ? C’est légitime de se poser ce genre de questions. Ce n’est pas au public de décider, il y a un déclic à un moment donné et, si on perd la connexion, il faut arrêter. Ça ne veut pas dire que c’est mal d’arrêter. Mais je n’en suis pas là, j’ai encore des choses à dire. Cela dit, je suis pragmatiqu­e : si j’arrête, je fais quoi ? Je ne sais faire que ça, être sur scène. Je vis sur scène. C’est ça qui me passionne.

Il y a beaucoup d’autodérisi­on dans votre humour, c’est votre marque de fabrique ?

C’est obligatoir­e. Avant, par exemple, je tournais toujours autour du pot quand je voulais aborder Monaco, je n’osais pas [il a été en couple avec Charlotte Casiragh et de cette union est né Raphaël en 2013, ndlr]. Plus tu passes par des détours, plus les gens vont essayer de trouver du “scoopito” (sic). Alors que, si tu abordes franchemen­t les choses, tu ne crains rien. Ce n’est pas stratégiqu­e, c’est parce que j’ai envie d’en parler. C’est ma vie, c’est marrant. Mon fils a 9 ans et il a une grand-mère qui est à Monaco et l’autre qui est ma mère, c’est la vérité. Je charrie avec affection, je pointe du doigt le décalage seulement. Ce qui m’intéresse c’est le regard de ma mère sur le Palais Princier plutôt que de raconter la vie en Principaut­é car c’est mille fois plus drôle de raconter une mère marocaine qui rencontre le prince de Monaco. Si moi je ne parle pas de ça…

« Vieillir ne m’effraie pas mais je m’interroge. Jusqu’à quel âge peut-on monter sur scène et faire des blagues ? »

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(Photo Rubens Hazon) Gad Elmaleh : « Mon fils a 9 ans et il a une grand-mère qui est à Monaco et l’autre qui est ma mère, c’est la vérité. Je charrie avec affection, je pointe du doigt le décalage seulement. »

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