Louis de Funès, super
Alors que le succès de ses films ne se dément pas, quarante ans après sa disparition, le comédien est devenu une star du Web. Décryptage d’un phénomène.
Quoi de neuf ? Louis de Funès ! Jugé « ringard » dans les swinging sixties par une partie de la critique, le comédien fait aujourd’hui l’unanimité. Ceux qui fustigeaient ses « grimaces », son « jeu outrancier » et ses « navets commerciaux » font chorus, toute honte bue, pour louer son « génie comique ». L’acmé de cette spectaculaire réhabilitation a été atteint, en 2021, avec l’hommage qui lui a été rendu à la Cinémathèque française. Un an plus tôt, le premier confinement avait rappelé à quel point le public l’adore. Les chaînes ont matraqué ses comédies à l’envi, conscientes qu’il demeure l’unique acteur capable de réunir trois ou quatre générations devant un même écran. Tout cela induit plusieurs questions. Quelle est la raison de la persistance de son succès ? Qu’est-ce qui le rend aussi moderne, alors que les autres vedettes de son temps tombent peu à peu dans l’oubli ? Quel est son secret ?
« Comme Donald, il n’a pas d’âge ! »
Pour ceux qui se souviennent d’un monde sans Internet, l’expérience peut être traumatisante. Demandez à un adolescent de 15 ans ce qu’il pense de Fernandel, Jean Gabin ou Fernand Reynaud. Vous le verrez rouler des yeux perplexes, hausser les épaules et articuler en riant : « C’est qui, ceux-là ? »
Mais si vous évoquez Louis de Funès, son regard s’allume. Il lâche un « j’adore » enthousiaste, puis pianote sur son « précieux » – comprenez : son portable – pour vous « partager » le dernier montage qui fait le buzz sur les réseaux. Comment justifier cette singularité ? Alain Kruger, ancien rédacteur en chef du magazine Première, suggère une explication : « Louis de Funès échappe à la réalité. Il est presque un personnage de dessin animé. Comme Donald Duck, il n’a pas d’âge. Et comme les héros de Tex Avery, il joue sur un tempo ultrarapide qui le rend intemporel. »
« Ça marche aussi bien en turc qu’en chinois »
Pour cet expert, à l’origine de l’hommage rendu à la Cinémathèque en 2021, la modernité du comédien procède de son sens du rythme. « Cela vient de sa culture jazz (1), décrypte-t-il. On ne retient pas ses dialogues, seulement la musicalité de sa gestuelle. De Funès, c’est un acteur du muet qui a le don de la parole – et celui du bruitage, des onomatopées qui sont universelles. »
À l’instar de Charlie Chaplin, sa maîtrise de la pantomime est l’un des éléments fondamentaux de sa pérennité, mais aussi d’un triomphe qui ne connaît aucune frontière.
« Ça marche aussi bien en turc qu’en chinois, constate Alain Kruger. On pourrait le comparer à un instrument de musique qui ‘‘parle’’ à tout le monde, quelles que soient les cultures. Sauf que lui, il est tous les instruments à la fois ! »
« Aucun gosse n’a jamais eu peur de De Funès »
Un acteur muet qui a le don de la parole”
Le journaliste pointe enfin un aspect essentiel : l’acteur s’adresse d’abord aux enfants. « Il propose une espèce de syncrétisme des défauts des grandes personnes, souligne-t-il. Les gosses, qui adorent singer leurs parents, se régalent. Dès l’âge de 2 ou 3 ans, je vois des bambins qui se marrent en le regardant ! A contrario, aucun gosse n’a jamais eu peur de lui. C’est un aspect qui mérite d’être souligné : au premier degré, ce type qui vitupère, qui casse des bateaux à coups de pelle, pourrait être effrayant. Or, alors que certains tout-petits craignent les clowns, aucun n’a jamais eu peur de De Funès. »
1. Louis de Funès a commencé sa carrière d’artiste comme pianiste de jazz.