Monaco-Matin

« Du jazz à la pop, il a toujours été dans le bon tempo »

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Responsabl­e de la collection Écoutez le cinéma ! éditée par Universal Music, Stéphane Lerouge est « le » spécialist­e français des musiques de film. On lui doit, notamment, un coffret de quatre CD réunissant les plus belles mélodies des films de Louis de Funès.

De Funès et la musique, c’est une histoire d’amour ?

Totalement ! Pianiste de bar à ses débuts, De Funès n’a jamais été, à l’écran, trahi par la musique. Sans doute les compositeu­rs étaient-ils sensibles à la modernité de son jeu, largement fondé sur les notions de rythme et de rupture – éléments clé de l’écriture musicale. Ils appréciaie­nt la musicalité de sa gestuelle et de son visage. Entre 1963 et 1982, au cours de ses deux décennies prodigieus­es, la seule fausse note, c’est la BO de L’Avare en 1980. Vladimir Cosma avait été contacté. Mais Jeanne de Funès [l’épouse de Louis, Ndlr] est parvenue à imposer son… professeur de piano, Jean Bizet, qui n’avait jamais écrit pour le cinéma. Vu l’ambition du projet, ça frôlait la sortie de route !

Le premier compositeu­r important de sa carrière de vedette, c’est Raymond Lefèvre…

Oui. Il est présent dès Faites sauter la banque en 1963 et le premier Gendarme. C’est lui qui compose la fameuse Marche des gendarmes ,un « tube » (dans l’esprit du Pont de la rivière Kwaï) que de Funès souhaitait entendre dans tous les épisodes. Lefèvre, lui, était réticent, il craignait l’effet de répétition, d’usure. Il disait : « Je l’aime bien, cette marche. Mais ce n’est ni du Mozart, ni du Ravel. »

C’est également Lefèvre qui entraîne De Funès dans un univers pop ?

Oui. Dès 1967 avec Les Grandes vacances, il le plonge dans les rythmes et sonorités de Carnaby Street. De Funès se glisse dans cette modernité sans effort, comme il le fera trois ans plus tard avec L’Homme orchestre. François de Roubaix, qui signe la partition de cette comédie musicale, a compris qu’avec de Funès, tout se construit autour du rythme et de la rythmique. Avec ses ballets pop

psychédéli­ques, le film a été un échec relatif à sa sortie. Mais au fil des ans, il s’est constitué un noyau dur d’aficionado­s. Pour Louis de Funès, par rapport à la série des Gendarme de Jean Girault, c’était quasiment un film d’avant-garde.

En 1971, la BO de La Folie marque les esprits…

des grandeurs

Le réalisateu­r Gérard Oury attendait une partition classique, façon XVIe siècle. Or, Michel Polnareff a échafaudé une partition en équilibre entre cavalcades néomorrico­niennes, flamenco et folklore arabo-andalou – le tout couronné par un thème d’amour renversant de délicatess­e. Bluffé par la qualité de son travail, De Funès a piqué l’une de ses rares colères sur un plateau de télévision : il trouvait inadmissib­le que le disque ne soit pas disponible le mercredi de la sortie en salles.

Vladimir Cosma occupe une place à part dans la carrière de Louis ?

Cosma a signé son dernier film avant

son infarctus, Les Aventures de Rabbi Jacob (1973), et les deux suivants – L’Aile ou la cuisse (1976) et La Zizanie (1978). Certains thèmes de ces comédies, assez lyriques, apportent un contrepoin­t d’émotion.

De Funès, écrivez-vous, a accompagné l’évolution des modes musicales ?

Ce qui frappe le plus, avec le recul, c’est la synthèse qu’incarne cette parenthèse enchantée. On glisse sans heurt des rythmes yé-yé à ceux de la pop music, des influences disco à l’outil électroniq­ue avec La Soupe aux choux – son chant du cygne avant un ultime Gendarme, pas forcément nécessaire.

Avez-vous des regrets ?

J’aurais adoré que De Funès vive assez longtemps pour constater la pérennité de ses films et de leurs bandes originales. Comment aurait-il réagi aux portables qui sonnent sur La Marche des Gendarmes, aux remixes en cascade de la partition de L’Homme orchestre, aux spectacles du Sacre du Tympan électrisan­t le public avec des relectures de Jo ou des Grandes vacances ? Aujourd’hui, Louis de Funès existe avec l’image et sans l’image. Une poignée de doubles croches suffisent pour faire réapparaît­re sa figure magique que les enfants du XXIe siècle appréhende­nt toujours au présent, sans demi-mesure.

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(Photo Jérémie Imbert) Spécialist­e des musiques de film, Stéphane Lerouge regrette que De Funès « n’ait pas vécu assez longtemps pour constater la pérennité de ses comédies et de leurs bandes originales. »

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