R. Bachelot : « La culture, c’est le ciment du peuple »
L’ancienne ministre de la Culture du gouvernement Castex revient, dans son dernier livre, sur les 682 jours de son mandat, marqué par la crise sanitaire et le début de la guerre en Ukraine.
Depuis le ministère de l’Écologie, Roselyne Bachelot s’est toujours prêtée à l’exercice : raconter, après l’avoir quittée, une fonction ministérielle. « Quand on a exercé une fonction aussi importante au service de l’État, on se doit d’en rendre compte aux citoyens », ditelle pour résumer. 682 jours est aussi un exercice d’analyse qu’elle lègue « à ceux qui ont mission d’exercer des fonctions au sein de la culture. Je fais un certain nombre de constats : on peut tirer des enseignements. » Car la crise sanitaire, et dans la foulée celle liée à la guerre en Ukraine, n’ont été que « l’accélérateur de mutations au coeur de la nouvelle donne culturelle ».
La première hypocrisie chez les hommes politiques, dites-vous, c’est qu’ils ne sont pas intéressés par les questions culturelles. Était-ce réellement une surprise ?
Non, ce ne l’était pas. Et d’ailleurs, je reconnais que dans l’époque où nous vivons en ce moment, avec cette guerre au centre de l’Europe, des débats extrêmement difficiles sur les finances publiques, avec cette crise économique et sociale, la culture apparaît comme le souci des plus favorisés. C’est dommage, car la culture, c’est aussi ce qui fait le ciment d’un peuple, ce qui permet d’affronter les épreuves. Car nous avons conscience, grâce à la culture, de ce qui nous unit plutôt que de ce qui nous divise.
Vous écrivez également que si le monde de la culture ne s’inscrit pas dans une dynamique de refondation, il va vers une mort lente mais inéluctable…
La culture est face à quatre grandes révolutions : écologique d’abord, aussi bien pour son patrimoine que sa gestion des festivals, du spectacle vivant. La production ensuite, qui change les pratiques culturelles. La troisième porte sur la centralisation de la culture, « parisianocentrée », et très justement, les territoires revendiquent d’avoir de la part de l’État une attention qu’ils n’ont pas toujours eue jusque-là. Enfin, la révolution sociétale : certains sujets n’ont, jusque-là, jamais été abordés, comme l’égalité hommes-femmes, la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, la diversité. Ces trois sujets sont aujourd’hui très présents.
Jean Castex vous a suggéré de vous « placer » lors de la réélection d’Emmanuel Macron, mais vous ne l’avez pas fait alors que vous soulignez le besoin de continuité dans les dossiers culturels…
Cela n’a jamais été ma méthode. Je n’ai jamais rien demandé.
Et la continuité est assurée par Rima Abdul-Malak. Le Président aurait pu choisir une personnalité orthogonale avec la mienne, or nous avions travaillé toutes les deux en confiance. Je n’avais pas l’impression que les choses seraient remises en cause et d’ailleurs, elles ne l’ont pas été. Et puis, en acceptant, je m’étais comparée à ce vieux soldat qui sort son fusil de l’armoire dans une situation exceptionnelle. La situation était revenue à la normale. Enfin, il y a mon âge, voyez-vous. Il faut avoir toutes ses forces pour servir le pays. Et puis, nous les femmes, avons sans doute un rapport moins pathologique au pouvoir.
C’est le ministère dont vous aviez toujours rêvé et pourtant, vous égratignez quelques-uns de ceux qui incarnent le mieux la culture : Biolay, Luciani, Foïs, Duperey, etc.
Je les égratigne parce que je les aime, en fin de compte. Je vis au milieu des gens de la culture, des artistes, des responsables de structures, je n’arrive jamais à rester fâchée contre eux. J’ai fait aussi la part des choses, car j’ai compris leur grande souffrance de ne pas rencontrer leur public, notamment… Mais cela ne m’a pas empêché de leur dire qu’ils se sont comportés de façon hypocrite ou injuste.
Vous égratignez aussi la classe politique… Tout le monde y passe.
Je dresse quand même un portrait tendre de Valérie Pécresse…
Vous parlez souvent d’Emmanuel Macron. Et vous vous interrogez sur sa timidité face à la culture alors qu’il est, justement, un homme de culture ?
Il a plutôt une forme de réserve, qui inscrit la culture dans une démarche qui relève de l’intime. Et sans doute aussi une forme d’hésitation à promouvoir un dossier de la politique qui peut apparaître comme profitant d’abord aux classes les plus privilégiées financièrement ou intellectuellement, ce qui d’ailleurs est vérifié.
Vous parlez de votre ancienne famille politique. Quel regard portez-vous sur ce qu’elle est aujourd’hui ?
J’ai un regard à la fois consterné et tendre. J’y ai conservé beaucoup d’amis, et ce ne sont pas les dernières aventures de constitution de la nouvelle équipe qui sont rassurantes. Je dis à cette famille politique de refuser toute perfusion avec le RN… Je n’ai jamais été socialiste, mais voir cette grande famille qui a construit les débats, les engagements, disparaître parce qu’elle a vendu son âme à l’extrême gauche ne m’est pas indifférent. J’aime beaucoup cette phrase de Grillparzer :
« Dire n’importe quoi, penser n’importe comment procure
toujours des satisfactions immédiates. Quand les choses se tranchent, il vous faut supporter l’insupportable ».
Je souhaite à mes amis de ne jamais supporter l’insupportable. Pour l’instant, ils ont tenu bon.
Laurent Wauquiez a sèchement répondu à vos propos sur les églises de France Le haut fonctionnaire Christophe EocheDuval, membre du Conseil d’État, a en revanche souligné dans La Croix que vous aviez eu raison « mettre les pieds dans le plat… »
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Je le dis aimablement à Laurent Wauquiez : je veux sauver toutes les églises, mais je situe les besoins, les enjeux. Il devrait y être sensible. Les églises sont de la responsabilité des communes et non de l’État. Les enjeux financiers sont absolument atroces. Plusieurs milliers d’églises sont en péril dans un contexte de déchristianisation massive. J’ai sonné l’alerte.
La Croix l’a compris… Mais vous savez, cela fera comme pour beaucoup d’autres sujets, on dira dans quelques mois :
« Roselyne Bachelot avait raison. » Mais je ne m’impatiente pas…
Difficile de ne pas vous interroger sur la réforme des retraites…
La réforme est indispensable, je pense que le Président doit et va tenir bon. On ne cède pas à la manifestation de la rue sur un tel sujet.
Si les Français ne veulent pas de cette réforme des retraites, ils s’exprimeront lors des élections, c’est le lieu où l’on peut changer les choses. D’ailleurs, la rue est bien incapable de nous proposer un projet alternatif. Ce sujet ne peut faire l’objet ni d’une manifestation de rue, ni d’un référendum.
La culture est face à 4 grandes révolutions”
Votre carrière politique est-elle vraiment terminée ?
Écoutez, ne me tendez pas ce piège (rires). Je suis tombée dedans une fois. Maintenant, je ne dis plus rien à ce sujet. Sauf que je suis un vieux soldat, si les circonstances étaient exceptionnelles, et je ne le souhaite pas, je ressortirais mon vieux fusil de l’armoire… Mais je crois qu’il y a déjà d’autres soldats qui sont en première ligne. 1. « D’ici à 2050, ce sont des dizaines de milliards qui seraient nécessaires si nous voulons tout conserver. [...] Il faudra beaucoup de courage à mes successeurs pour dire non au sauvetage inconsidéré d’une église sans intérêt patrimonial mais à charge émotionnelle et emblématique forte. »
‘‘ Des milliers d’églises sont en péril”