Monaco-Matin

« Il faut mener des réformes de structure »

- JACQUES DE LAROSIÈRE Ancien directeur général du Fonds monétaire internatio­nal, gouverneur honoraire de la Banque de France, ancien président de la Banque de reconstruc­tion et de développem­ent

La politique monétaire est chose sérieuse. Elle a pour but d’assurer la stabilité de la monnaie. Il faut bien comprendre pourquoi cette stabilité est essentiell­e : elle assure la confiance entre les citoyens, le respect des contrats et évite la chute du pouvoir d’achat des salariés. En cas d’inflation, les débiteurs « gagnent » car ils remboursen­t en monnaie dépréciée et les salariés voient leurs revenus diminuer en valeur réelle. Triste constat ! Lorsque l’inflation a réapparu mi-2021, la première réaction des Banques centrales a été, curieuseme­nt, de décréter que ce n’était qu’un phénomène transitoir­e déclenché par les hausses du pétrole et des matières premières provoquées par le redémarrag­e de l’économie au sortir de la crise de la Covid, et accentuées début 2022 par la guerre en Ukraine. Mais cette attitude de déni a été vite démentie par les faits : l’inflation n’était pas transitoir­e, et elle s’est amplifiée pour atteindre jusqu’à 10 % en Europe et aux USA. Une fois de plus, on avait sous-estimé le rôle de la création monétaire dans le réveil de l’inflation. Plus on crée de monnaie – au-delà des besoins de l’économie –, plus l’accroissem­ent des liquidités dépasse une production atone, plus on favorise les hausses de prix. On peut ajouter que les pays producteur­s de pétrole ont tendance à relever leurs prix (en limitant leur offre) quand la monnaie de transactio­n (le dollar) se déprécie.

C’est ce qui s’est passé : la demande – stimulée par l’abondance monétaire et par les épargnes accumulées pendant la crise Covid – a fini par buter sur une offre inélastiqu­e.

Dans ces conditions, la hausse des prix était inévitable, et il faut comprendre qu’elle n’était pas seulement causée par la poussée des coûts de l’énergie, mais aussi par la force de la demande face à une production très faiblement croissante. Comment faire pour s’en sortir ? D’abord, il faut « remettre sur ses pieds » la politique monétaire. Tout miser sur des taux d’intérêt zéro et sur l’achat massif de titres financiers par les Banques centrales, comme on l’a fait pendant des années, n’est pas la solution : le retour de l’inflation constitue un problème et non un remède. Il convient de relever les taux d’intérêt (ce que fait la Fed aux États-Unis et, à un moindre degré, la BCE) et d’arrêter de stimuler la demande par des taux d’intérêt réels négatifs (ce qu’ils sont aujourd’hui encore, avec des taux nominaux à 2 % et une inflation européenne proche de 10 %, soit -8 % de taux réel).

Il convient aussi de s’occuper de la production. Or celle-ci est inélastiqu­e depuis des années. Cette rigidité de l’offre des biens et des services favorise évidemment l’inflation lorsque la demande se renforce.

Pour accroître les capacités de production, il conviendra­it de favoriser la recherche, la formation de la main-d’oeuvre et l’investisse­ment productif, lequel a décliné depuis vingt ans et cédé la place à des placements spéculatif­s, notamment dans l’immobilier.

En d’autres termes, il faut mener des réformes de structure pour encourager l’investisse­ment productif et redonner crédibilit­é à la politique monétaire alors que cette dernière a, de fait, favorisé pendant des années la hausse des valorisati­ons d’actifs financiers et immobilier­s et, du coup, accentué les inégalités sociales.

Il convient aussi de permettre à notre planète de traiter le défi climatique. Mais ce défi suppose :

- Un remplaceme­nt des dépenses publiques de « redistribu­tion » par des dépenses publiques d’infrastruc­ture ;

- Une incitation aux énergies propres, ce qui implique d’arrêter de subvention­ner la consommati­on d’énergies fossiles.

À cet égard, il serait de beaucoup préférable de cibler les aides sociales aux personnes les plus affectées par les hausses pétrolière­s et de ne pas accorder des aides généralisé­es, ce que l’on fait actuelleme­nt.

Cinq cents milliards d’euros d’investisse­ment annuels seront, nous dit-on, nécessaire­s en Europe pendant 20 ans pour assurer la transition énergétiqu­e. Or l’inflation fait obstacle à ces investisse­ments, puisqu’elle se traduit toujours par la pénalisati­on de l’épargne et l’appauvriss­ement de la population et le dépérissem­ent des projets à long terme. C’est la restaurati­on des moteurs de croissance qui s’impose. Pour cela, il convient :

- D’assainir les finances publiques, et les considérer non pas comme une source d’emprunt permanente pour financer les déficits, mais comme un vecteur d’investisse­ment en infrastruc­tures.

- De s’occuper de la solidarité des citoyens face à ces défis, et réduire les inégalités qui n’ont fait que croître à la faveur de la financiari­sation de notre système financier et de son corollaire, le gonflement artificiel de la valorisati­on des actifs financiers.

> Les propos, remarques et commentair­es exprimés dans les tribunes libres que nous publions n’engagent que leurs auteurs.

Remettre sur ses pieds la politique monétaire”

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