Monaco-Matin

Plongée dans LE CERVEAU AUTISTIQUE

Président d’Autisme PACA, lui-même autiste sans déficience intellectu­elle, Marc Bonifay témoigne régulièrem­ent de son parcours lors de journées de formations. Prochains rendez-vous à Pierrefeu et à Nice.

- CAROLINE MARTINAT cmartinat@nicematin.fr

Président de l’associatio­n d’usagers Autisme Paca, Marc Bonifay parle d’autant mieux du sujet qu’il est luimême ce que l’on avait coutume d’appeler un « autiste Asperger ». On parle désormais, de façon plus précise, de personnes atteintes de troubles du spectre autistique sans déficience intellectu­elle, avec (ou sans) haut potentiel intellectu­el (HPI).

« L’autisme sans déficience intellectu­elle est un handicap invisible, explique-t-il. Il crée, entre les personnes autistes et le reste de la société, un décalage dont elles sont parfaiteme­nt consciente­s et dont elles souffrent au quotidien, d’autant plus qu’elles ont des difficulté­s à comprendre pourquoi on ne les accepte pas telles qu’elles sont. »

Ce handicap est pourtant bien réel tout comme le mal-être qui en découle. « La première cause de mortalité des autistes Asperger, c’est le suicide », rappelle à ce sujet Marc Bonifay.

Un défaut d’habiletés sociales

« Un autiste sans déficience intellectu­elle, c’est quelqu’un qui est souvent harcelé dans le milieu profession­nel, parce qu’il n’a pas ou peu d’habiletés sociales. On ne dit pas bonjour, ou on ne fait pas la bise. Comme moi, on a du mal à regarder les gens dans les yeux, ou alors pas longtemps ! Ce sont des choses qui passent mal. On nous prend pour des gens impolis, qui manquent de franchise… » explique Marc Bonifay.

Autre « spécificit­é » : « Nous sommes très « premier degré ». On ne saisit pas les nuances. Chez nous, tout est binaire. C’est oui ou non, plus ou moins ! Quand on nous dit : attends deux secondes, on attend deux secondes, pas deux minutes. »

Une grande fatigabili­té

Une plus grande fatigabili­té caractéris­e aussi ce handicap. « En plus de l’effort que tout un chacun produit dans le cadre de son travail, ou d’une simple conversati­on, la personne autiste sans déficience intellectu­elle fait un effort constant d’adaptation sociale qui induit des questionne­ments permanents. Pourquoi on me pose cette question ? Est-ce qu’il y a un sous-entendu ? Quelles sont toutes les réponses possibles ? Comment est-ce que je dois réagir ? Je ne réponds pas avant d’avoir « scanné » toutes les options possibles, un peu comme un ordinateur, raconte Marc Bonifay. Notre interlocut­eur à parfois l’impression que nous sommes lents, alors qu’en réalité, nous réfléchiss­ons très vite en traitant une multitude de données ! »

Des troubles sensoriels

D’autres facteurs compliquen­t encore la relation à l’autre. « Comme beaucoup de personnes autistes, je souffre de troubles sensoriels, poursuit Marc Bonifay. Je ne peux pas travailler avec des néons, trop agressifs. Ni à côté de gens qui conversent ou passent des coups de fil. Même un simple bruit de masticatio­n peut gêner certains. »

Des stratégies de compensati­on contrariée­s

« Quand quelqu’un a un problème de vue, il compense en développan­t ses autres sens. C’est un peu pareil avec un autiste : on met en place des stratégies, des méthodes pour compenser notre cécité sociale, déjouer ses troubles sensoriels. Mais souvent, regrette Marc Bonifay, la société tente de nous enlever ce qu’on met en place, parce que ce n’est pas conforme à la norme. Porter des lunettes de soleil à l’intérieur, ça ne se fait pas ! La difficulté, c’est de faire comprendre que pour nous, c’est indispensa­ble, à cause des néons. C’est pour cela que les autistes non verbaux se roulent par terre ! 50 % des troubles du comporteme­nt sont liés à des douleurs ou des problèmes sensoriels. »

Il explique aussi, lors de ses interventi­ons, pourquoi certains autistes s’automutile­nt, pratiquent l’écholalie (la répétition en boucle d’une phrase entendue) ou répètent à l’infini des mouvements rythmés de battements des mains et ou des bras (flapping). « Quand j’explique comment je fonctionne, pourquoi je réagis de telle ou telle manière, je décris aussi ce que ‘‘les petites soeurs et les petits frères’’ non verbaux ne peuvent pas exprimer. »

L’art pour s’en sortir

Il témoigne aussi de ce qui l’a aidé, lui, à développer ses habiletés sociales. « Être en société, c’est un jeu d’acteur permanent pour moi. Il faut moduler le son de ma voix, qui est naturellem­ent monocorde. Faire du théâtre m’a beaucoup aidé. Les autistes sont des gens très créatifs. Le théâtre, les arts en général les aident, les incitent à s’exprimer. »

Il conclut en pointant un dernier trait caractéris­tique de son trouble autistique. « Quand une personne autiste s’intéresse à un sujet, à une cause, elle le fait à fond. C’est mon fonctionne­ment autistique qui fait mon engagement associatif. Cette cause est importante, je peux lui donner beaucoup. » Et en parler sans fin, passionném­ent ! 1- Président fondateur d’Autisme PACA et coprésiden­t de l’associatio­n nationale d’auto-représenta­nts PAARI (Personnes Autistes pour une Autodéterm­ination Responsabl­e et Innovante).

« On met en place des stratégies pour compenser notre cécité sociale »

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