Monaco-Matin

Un dernier dribble

Nous a quittés à l’âge de 77 ans. Légende de l’OGC Nice, héros de l’AS Cannes, l’ancien attaquant a marqué une génération de fans de foot.

- PHILIPPE CAMPS

Il fallait s’y attendre. Charly Loubet ne pouvait pas nous quitter sans un dernier dribble. Sa spécialité. « Aujourd’hui, je me sens fatigué. Rappelle-moi mercredi, on verra ça... », nous a-t-il soufflé au téléphone lundi après-midi alors que nous souhaition­s l’inviter sur le plateau de Gym Tonic. Quelques heures plus tard, il s’en allait pour toujours, emportant avec lui un peu de notre enfance et beaucoup de notre insoucianc­e. Charly Loubet est mort. Brutalemen­t. D’une crise cardiaque. Il avait 77 ans. Cette feinte ultime nous a serré le coeur comme elle a mouillé le regard de tous ses anciens coéquipier­s de Cannes, de Nice ou de Marseille. Charly était aimé, admiré, respecté. Normal : c’était un homme délicieux et un immense joueur de football.

Le môme aux pieds d’or

Charly Loubet est un fils du Sud, avec un parcours ensoleillé et des racines qui fleurent bon la terre de Grasse et l’amour familial. Fou de foot, le petit Charly grimpe, tous les week-ends, sur le triporteur du paternel pour s’en aller applaudir le Gym au Ray ou l’AS Cannes aux Hespérides. Le Grassois est supporter des deux clubs. René, le papa, représenta­nt en fromagerie, a déjà tout compris du prodige aux semelles de vent qui éparpille ses adversaire­s sur l’aile gauche de l’attaque cannoise. Làbas, tout le monde veut voir le phénomène. Il est déroutant. Sa vitesse est impression­nante. A 16 ans, il signe pro, couvé par Jean Varraud, Dante Lerda et Alberto

Muro. Mais Cannes a des difficulté­s financière­s. Alors, une année plus tard, il est transféré au Stade Français. Voir le petit monter seul dans la capitale est un déchiremen­t pour René et Odette ses parents. Le papa quitte son travail pour accompagne­r celui que Julien Giarrizzi, journalist­e inoubliabl­e de Nice-Matin, surnomme déjà ‘‘le môme’’. Le froid parisien pousse les Loubet à redescendr­e au plus vite sur la Côte d’Azur. Charly choisit Nice (1963-1969). Ce n’est plus le faste des années 50 et pas encore l’éclat de la génération 70. Pas grave. Il brille. Régale les siens. Marque. Combine avec Piantoni. Se fait remarquer. À un point tel que Just Fontaine - qui connaît un peu le football l’appelle en équipe de France. Justo se fera virer au bout de deux matchs. Loubet, lui, portera 36 fois le maillot Bleu de France. Mais sans Kopa, Platini ou Zidane, la chose n’est pas simple. En 1969, il est courtisé par Anderlecht, mais prend la direction de Marseille. Bon choix. Avec lui, l’OM finit 2e puis champion de France. Toujours droit au but, l’attaque Magnusson-SkoblarLou­bet désintègre toutes les défenses de Première Division. Une référence. Après un différend avec le président marseillai­s Marcel Leclerc, le chouchou du Ray retrouve son jardin.

Une légende au Gym et à l’AS Cannes

Il revient à Nice malgré une propositio­n grassouill­ette envoyée par Feyenoord. De 1971 à 1975, il enchante les supporters du Gym éblouis par ses accélérati­ons, ses doubles crochets, sa feinte de frappe et son tir sec comme un coup de fusil.

Charly a l’arme à gauche. Il défouraill­e. Ailier ailé, il est un accélérate­ur de jeu. Il casse les reins de ceux qui l’approchent. Derrière lui : Roger Jouve. À côté de lui : Dick van Dijk. Face à nous, le football en liberté. Le jeu en folie. Ébouriffan­t. C’est un autre temps. Cinquante années après, Charly se demandait encore comment ce Gym-là avait pu passer à côté d’un titre national. Il n’est pas le seul. Heureuseme­nt, les images en noir et blanc et les souvenirs en couleurs survivent. Après les matchs, ce bon-vivant allait dîner chez Rollando, à la Chunga, au Felix ou à la Trappa avec ses amis Van Dijk, Chorda, Adams, Ascery et tant d’autres. L’aprèsmidi, on pouvait le voir à l’hippodrome de Cagnessur-Mer où il misait sur les trotteurs.

Magnifié par les idées larges de Jean Snella, Loubet sera poussé hors du Gym par Vlatko Markovic. Pas la meilleure idée de l’entraîneur yougoslave.

En deux passages, l’attaquant aura disputé 343 matches en rouge et noir. Il est le 4e Aiglon le plus capé de l’histoire du club, derrière Francis Isnard, Pancho Gonzalez et Roger Jouve. Bouclant la boucle, le Grassois finira sa belle carrière à l’AS Cannes (joueur puis coach) où il est aussi et restera un héros, une légende, un immortel.

Charly aimait le foot, la famille, son épouse Danielle, connue quand ils avaient 16 ans, ses filles Corinne et Carole, ses petits-fils Yannick et Marvin, les copains, les boules, le tiercé, les cassecroût­es, la fraîcheur de sa maison de Seranon l’été, la cité de Grasse toute l’année. Il ne se mettait jamais en colère.

Sauf si vous lui parliez de Raymond Domenech, boucher lyonnais au tablier tâché qui le blessa gravement avant de l’accuser dans le journal l’Équipe de faire du cinéma. Le seul qui n’aura jamais obtenu son pardon. Charly Loubet, lui, était un joueur de foot. Un vrai. Avec un sourire comme un soleil. Ce matin, il n’ira pas chercher son Nice-Matin comme il le faisait tous les jours. Il nous a dribblés. Une dernière fois, sans savoir peut-être combien nous l’admirions. Aujourd’hui, c’est sûr, Charly est au paradis.

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(Photo C. Dodergny) Charly Loubet dans son jardin au stade du Ray en 2013.

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