Le scandale des déchets
Les équipes du magazine Capital, sur M6, ont enquêté sur les déchetteries de la métropole niçoise. Ils ont débusqué un système d’export illégal de déchets de Nice vers... Saragosse, en Espagne, en passant par Contes.
Des balises camouflées dans une vieille chaussure, un coussin en fin de vie, une théière ébréchée et « hop ! », direction les trois déchetteries de Nice. Il ne restait plus qu’aux journalistes de Capital, l’émission d’enquête de M6 de suivre les signaux... jusqu’à Contes. Les balises émettent chez Enso. Là-bas, des bennes débordent de cartons, les déchets jonchent le sol et les journalistes de Capital filment un employé effectuant un tri « plus que sommaire » à l’aide d’une petite pelleteuse. « Une image bien différente de celle véhiculée par le site de l’entreprise », annonce la voix off.
Objectif zéro enfouissement
Sur la page d’accueil de la société, deux mains tiennent une terre verte : « Enso, une solution pour l’environnement. » La société, installée dans la vallée du Paillon, promet une solution de gestion des déchets de proximité. Leur objectif : zéro enfouissement. « Des arguments qui lui ont permis d’obtenir le marché avec Nice pour 5 ans et gérer le tout-venant des trois déchetteries pour 33 millions d’euros », précise Capital. Mais l’enquête explosive de M6 ne s’arrête pas là.
Le lendemain, dans la cour d’Enso, un gros camion blanc et rouge est chargé de déchets
Des déchets azuréens qui font des dizaines de milliers de kilomètres au lieu d’être traités sur place, la Côte d’Azur a déjà connu... c’était en 2019.
En novembre, Nice-Matin révélait que 500 tonnes d’ordures ménagères avaient été légalement expédiées par la route, en camion, depuis le site du Centre de valorisation organique (Smed), au Broc, jusqu’à l’usine d’incinération de… Labeuvrière, dans le Pas-de-Calais. Soit 2 400 km aller-retour ! Une surprise pour les habitants des secteurs cannois et grassois, qui ont alors découvert que le sac d’ordures ménagères qu’ils jetaient dans la benne finissait parfois brûlé dans une usine du nord de la France.
Nice-Matin avait enquêté aux abords de l’usine et suivi l’étrange à l’aide d’une grue : 22 tonnes. Il est pris en filature. Il quitte Contes, Nice, la métropole, le département... la région ! Direction, Nîmes, Narbonne puis... Perpignan. « Les déchets de Nice sont déjà à plus de 500 km », s’étonne le journaliste d’investigation. Une grosse poignée d’heures plus tard, le voilà en Espagne. Les déchets ont parcouru 1 000 km et « 1,5 tonne de CO2 a été rejetée dans l’atmosphère ». La solution de proximité d’Enso, c’est Saragosse : les déchets de Nice y finissent dans une décharge à ciel ouvert où « 800 000 tonnes de déchets sont déversées chaque année ». Et c’est illégal, dénonce Capital, qui a contacté le ministère de l’Environnement. Le ministère de la Transition écologique n’a délivré aucune autorisation de transfert de déchets transfrontaliers...
« Ici, c’est entre 28 et 45 euros la tonne, contre environ 200 euros dans le sud de la France, soit une économie pouvant aller jusqu’à 3 500 euros par chargement », explicite M6, qui s’est tournée vers les forces de l’ordre. Et pour les gendarmes, si cela est avéré, ça s’appelle « blanchir des déchets ».
ballet nocturne de ces camions, qui ont au total parcouru 48 000 km, bourrés jusqu’à la gueule de nos déchets, pour les amener dans le Nord.
Des chauffeurs routiers interloqués
Les premiers surpris avaient été les chauffeurs de l’usine qui, un peu ahuris, avaient dû rentrer le nom de leur destination dans un moteur de recherche pour bien comprendre où ils allaient. Dixhuit heures de route. Un brin embarrassée, la préfecture avait expliqué que cette situation était due à une pénurie d’exutoire dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Une situation de crise en quelque sorte, et une décision parfaitement incongrue en matière environnementale.
Le ministère de la Transition écologique et le Plan régional des déchets avaient pourtant sanctuarisé deux grands principes : « Les plans régionaux doivent tenir compte des principes de proximité et d’autosuffisance en matière de gestion des déchets. »
À quelques heures de la parution de notre enquête, et au lendemain de l’envoi de nos questions, un mail signé de la directrice du centre de valorisation du Broc parvenait aux cadres : « Comme convenu par téléphone, je vous demande d’arrêter les transports vers le site de Labeuvrière. Cette demande prend effet immédiatement. »
Une coïncidence, avait démenti la direction. Une décision prise le jour où l’email de Nice-Matin est arrivé en préfecture. Le hasard fait souvent bien les choses... Si le pot aux roses n’avait pas été découvert, ce sont 1 000 t au total qui devaient pourtant, selon nos informations, traverser l’Hexagone... L’information avait choqué les Azuréens, mais que dire des habitants du Pas-de-Calais ? À leur arrivée à 7 km de Béthune, les poids lourds étaient pesés sur le pont-bascule. Les chauffeurs vidaient alors leur chargement dans une fosse d’environ 3 000 m³ avant que les ordures ne passent au brûlage.
90 000 t à brûler
Pour faire fonctionner ses fours, le Centre de valorisation énergétique de Labeuvrière devait en effet brûler 90 000 t par an pour rester à température. Problème : il n’en recevait que 75 000 de l’agglo, et cherchait donc le surplus à l’extérieur. La communauté d’agglomération avait réagi : « L’impact carbone de la valorisation, dans le Nord de la France, de déchets produits dans le Sud, peut interroger, voire choquer. Comme celui, pour prendre un exemple comparable, des emballages ménagers envoyés dans les pays asiatiques pour y être recyclés. Les services de la Communauté d’agglomération ont donc demandé à l’exploitant de cesser cette pratique. » Ce que Veolia avait immédiatement mis en application. Si l’opération était légale et validée par le préfet des Alpes-Maritimes, elle n’en constituait pas moins un non-sens écologique. Elle avait pris fin en décembre par voie préfectorale, au terme de l’enquête de Nice-Matin, qui s’était appuyé sur La Voix du Nord.