Monaco-Matin

« Je suis immédiatem­ent tombé amoureux de Nice »

- CHRISTOPHE­R ROUX

Les années défilent, les cheveux grisonnent, mais son sourire réchauffe toujours les coeurs. À 65 ans, Mark Allen reste un phare et une légende, un pionnier du triathlon des années 80 et 90. Invité aux Global Triathlon Awards, une cérémonie qui a récompensé les meilleurs triathlète­s de l’année passée et qui s’est tenue à Nice fin janvier, le sextuple champion du monde d’Ironman, dix fois vainqueur du triathlon de Nice entre 1982 et 1991, s’est replongé dans ses souvenirs. Installé à Santa Cruz, à deux pâtés de maison du Pacifique et d’un océan qu’il fend avec sa planche de surf, son nouveau dada, le Californie­n ne s’est pas éloigné de son sport pour autant. Celui qu’on surnommait The grip (la poigne), pour sa capacité à ne rien lâcher, transmet son savoir à des athlètes du monde entier avec sa plateforme de coaching en ligne.

Mark, que ressentez-vous lorsque vous revenez à Nice ?

C’est toujours quelque chose de fort. C'est lié à l’atmosphère, la culture, les gens et bien sûr au triathlon. J'ai couru et gagné dix fois en dix participat­ions ici. Je suis heureux d’y avoir mes amis, comme Yves Cordier (l'actuel directeur d’Ironman France, ndlr). Je vis en Californie, c'est loin, mais quand je peux revenir à Nice, j’y reviens toujours. C'est comme rentrer à la maison.

Vous avez foulé le sol niçois pour la première fois en 1982. À ce momentlà, imaginiez-vous l'histoire d'amour qui vous lierait à la ville ?

Je me souviendra­i toujours de ma première venue ici. Il faisait nuit. Avec Scott Tinley (2e du triathlon de Nice en 1985 et 1987), nous arrivions de Californie. Il était 22h mais on s'est dit : « Allons courir sur la Promenade des Anglais ». J'ai vu les lumières et je suis immédiatem­ent tombé amoureux de cette ville. Elle est tellement incroyable. Mais à ce moment précis, je n'aurais jamais pu imaginer que j’y reviendrai­s pendant tellement d'années. Je n'avais pas idée de ce que cette course deviendrai­t, qu'elle serait aussi importante, la plus grosse de ma saison, et de manière certaine la plus grande d'Europe. Ma carrière était construite autour de Nice et de l'Ironman d'Hawaï. C'était mes deux maisons pour le triathlon.

L'édition de 1992 fut épique. Vous aviez doublé Yves Cordier à 800 m de la ligne, devant le Negresco. À quoi avez-vous pensé à ce moment précis ?

Je crois qu'il restait plutôt 400 m (sourire). Quand je suis arrivé derrière lui, mon esprit s'est arrêté un instant. Dois-je passer le fils de Nice (rire) ? Peut-on passer la ligne en se tenant la main ? Il devait gagner chez lui. Puis j’ai pensé que ce n'était pas les valeurs du sport, que je devais tout donner. Je sais combien cela a été dur pour Yves. Il avait mené la course toute la journée, mais je suis passé.

Vous étiez souvent en retard lors des transition­s vélo-course à pied. Vous ne paniquiez jamais ?

Il y avait toujours une part de moi qui disait : « (Il imite le coureur essoufflé). Ok, je ne peux pas revenir (rire) ». Puis ma tête se reprenait : « Voyons ce qu’on peut faire. Rattrapons le retard petit à petit ». Dans ces moments-là, tu dois focaliser ton esprit là-dessus. Si tu paniques plus de dix secondes, tu peux oublier la victoire… Basculer de la panique à une forme de calme, revenir à un état d'esprit de champion, c’était l'un de mes talents.

Comment expliquer votre immense popularité ? Personne n'a su l’égaler depuis toutes ces années...

J'ai construit ma carrière une année après l'autre, course après course. Sur chaque triathlon que j'ai fait, j'ai vraiment essayé de donner le meilleur de moi-même. Je ne pense pas que tous les athlètes actuels entrent dans leurs courses avec le même état d’esprit.

Ils se disent : « Ces courses n’ont pas tellement d’importance ». S'ils s’imposent, ils se contentent d’un :

« Ouais, j'ai gagné. » Pour moi, toutes les épreuves étaient spéciales.

C'est donc simplement lié à votre état d'esprit, à l’âme du compétiteu­r…

Vous pouvez être quelqu'un de sympa sans gagner de course. Il suffit d’être gentil avec les gens et respectueu­x des autres athlètes. Même si tu les as battus. J'ai juste essayé de faire ça.

Comment avez-vous construit votre force mentale ?

Je savais que je n'étais pas le plus talentueux physiqueme­nt mais que je pouvais être plus fort mentalemen­t. Cela donne un avantage. Je me suis donc entraîné dur, mais en gardant à l'esprit que le triathlon n'était qu'une partie de ma vie, qu’il ne deviendrai­t pas toute ma vie. Si je ne pouvais pas gagner, je devais apprendre quelque chose sur moi-même ou sur la stratégie de course. Je trouvais des bénéfices quand d’autres s'agaçaient. Et si tu

paniques au sujet de la manière dont tu t'entraînes et que tu en fais trop, il est certain que tu ne gagneras pas.

Vous travaillie­z avec un shaman…

Oui. Avec Brant Secunda, professeur et shaman qui venait du Mexique. Il nous a enseigné ses traditions, comment rester calme mentalemen­t. C’est être reconnaiss­ant de se lever le matin. Si tu te lèves, dit « Merci ». Les autres jours seront alors tellement plus faciles.

Et si quelque chose paraît impossible, continue d'y croire et d’imaginer la prochaine étape. Elle finira par se produire.

Qui restera votre plus sérieux adversaire sur le triathlon de Nice ?

Les courses les plus dures l'auront été contre Yves (Cordier). Nice était celle pour laquelle il donnait tout. Elle était très importante pour lui et c'est dur d’affronter ce type de compétiteu­rs. C'est un super athlète et un grand spécialist­e. Avec lui, j'ai vécu mes plus grands triathlons.

Entre Nice et Hawaï, laquelle de ces deux courses était la plus dure ?

Gagner à Nice était difficile mais j'ai tout de suite compris le truc. Ici, j'adore la montagne, les ascensions et les nombreux villages. Tout cet environnem­ent était plus facile à gérer. Kona, c'était beaucoup plus dur.

Ça m'a demandé plus de temps pour appréhende­r l'environnem­ent et la stratégie. C'était un vrai défi. J'adore Hawaï mais c'était moins naturel pour moi. Les six premières fois que j'ai couru là-bas, je n'ai d’ailleurs pas gagné. Mais je l’ai fait six fois ensuite. Que Nice et Kona se partagent les Mondiaux masculin et féminin (jusqu’en 2026), c’était le meilleur choix.

Quels conseils donneriez-vous à de jeunes triathlète­s qui aimeraient se lancer à haut niveau ?

Soyez patients. Développez-vous sans vous agacer. Apprenez et adaptez vos entraîneme­nts. Vous verrez ce qui marche et ce qui ne marche pas. Donnez tout ce que vous avez et rêvez. Faites-le maintenant parce qu’ensuite vous serez trop vieux (rire).

‘‘ J’ai gardé à l’esprit que le triathlon n’était qu’une partie de ma vie, qu’il ne deviendrai­t pas toute ma vie”

‘‘ L’édition de 1992 ? Je me suis dit : « Dois-je passer le fils de Nice ? »”

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Le dix fois sur imposé de Nice. triathlon
Le s’est Californie­n Le dix fois sur imposé de Nice. triathlon

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