Monaco-Matin

Chloë Cassens dans les pas de Séverin Wunderman

Elle découvre le bastion et retrouve la collection d’art offerte par son grand-père à Menton. L’Américaine lève le voile sur son intention de poursuivre son oeuvre autour de Cocteau.

- PROPOS RECUEILLIS PAR GAELLE BELDA gbelda@nicematin.fr

Elle vient de faire le tour du bastion où des oeuvres de Cocteau sont exposées. Toute de noir et de discrétion vêtue, elle a goûté à la scénograph­ie qui met en lumière les pièces jadis collection­nées amoureusem­ent par son grand-père, Séverin Wunderman. Et elle sourit. Évanescent­e.

Chloë Cassens n’est pas venue depuis longtemps. Ce qu’elle veut, c’est revoir les pièces qui ont animé celui avec lequel elle avait une relation si particuliè­re. Elle souhaite également apprécier le travail des restaurate­urs. Parce qu’un certain nombre de tableaux – installés au coeur d’un bâtiment signé Rudy Ricciotti –, issu de cette précieuse donation, avaient subi les affres de la tempête Adrian, en 2018.

Depuis Los Angeles, où elle vit, la jeune femme de 29 ans a ressenti l’impérieuse nécessité d’enfin offrir à Cocteau l’aura qu’il mérite OutreAtlan­tique. De poursuivre l’oeuvre de Séverin Wunderman. A sa façon... Dans un français fluide et aiguisé, elle raconte.

Quelle relation entretenie­z-vous avec votre grand-père ?

Il est décédé quand j’avais 14 ans. Il disait que j’étais la petite scorpion. Je suis née un 20 novembre. Lui, un 19 novembre, alors c’était le grand scorpion. Il me disait quelque chose qui m’a marquée durablemen­t : que chez les scorpions, ce sont des petits dont il faut se méfier car ce sont eux qui ont le plus de poison. Je pense qu’il voulait me dire que, même si je suis toute petite, j’ai en moi beaucoup de force, un pouvoir. J’ai grandi avec ça, ça m’accompagne chaque jour.

Et Cocteau, dans tout ça ? Est-ce que c’est une passion qu’il vous a léguée ?

J’ai passé mon temps, avec lui, entourée de Cocteau. Il avait des oeuvres partout, ça faisait partie de son univers, de son environnem­ent. Je ne me suis jamais vraiment interrogée... jusqu’à sa mort. Je crois que c’est à ce moment-là que la bulle a explosé, que j’ai ouvert les yeux, que j’ai vu tout ça. Là, j’ai voulu comprendre. Probableme­nt pour mieux le connaître et aussi pour rester encore un peu avec lui...

Quelles démarches avez-vous entamées ?

J’ai posé des questions, j’en ai parlé avec ma mère. Elle, elle l’a accompagné maintes fois pour acheter des oeuvres... Quand il

nourrissai­t cette forme d’obsession [Il en avait 990 signées Cocteau, ndlr]. Mais c’était aussi, pour elle, juste quelque chose qui faisait partie de la personnali­té de son père. Pas plus. Alors quand je suis devenue étudiante, j’ai démarré une thèse sur les Enfants terribles, Cocteau et Yves SaintLaure­nt. La première pièce que mon grand-père a achetée à 19 ans – il avait dépensé tout son salaire ! – était justement un dessin tiré des Enfants terribles.

Qu’est-ce que cela vous a appris de lui ?

Je pense que mon grand-père était un rebelle. Il a toujours fait ce qu’il a voulu, c’est un vrai « enfant terrible ». Je pense que c’est cela, être un rebelle dans notre monde : avoir une idée et aller au bout, quitte à ne pas suivre les règles.

Vous avez de ça en vous ?

[Elle rit] Un peu, oui. Et je pense qu’il a vu ça en moi, tout de suite. Il a toujours encouragé les talents des uns et des autres, dans la famille. Avec moi, il se passait quelque chose d’un peu différent.

Il voulait qu’on passe le plus de temps possible ensemble... Il débarquait et il disait à ma mère : aujourd’hui, Chloë ne va pas à l’école, elle vient avec moi au boulot ! Et je partais.

Il a encouragé une forme de curiosité, de liberté...

Oui, je crois. Il était avide d’apprendre, toujours en quête de quelque chose. Moi aussi, j’aime ça, je lis deux ou trois livres par semaine, etc. Je lui ressemble mais je ne suis pas lui. J’espère être plus... [elle cherche ses mots] charmante ! [Elle rit] Je l’aime, je l’adore, il était mon mentor... mais je n’ignore pas qu’il était controvers­é. Ce n’était pas quelqu’un de « populaire ». Ceux qui parvenaien­t à le comprendre, l’ont adoré. Les autres... moins. Moi, je me sens plus souple, plus dans le compromis, dans la discussion. Je suis rarement en colère...

Peut-être parce que son tempéramen­t trouve ses racines dans une enfance pas évidente...

Il a eu une enfance très difficile, il a échappé à la Shoah, il a été caché, il était pauvre. Il n’était, du

coup, pas très grand. Puis il a migré aux États-Unis, il est devenu un grand horloger, il a créé la montre Gucci... C’était important.

Une réussite qui a demandé des sacrifices. Un héritage aussi ?

Ma mère, ma tante l’ont vu aimer l’art, collection­ner, etc. mais elles ont eu une forme d’obligation familiale un peu différente, c’est vrai... Elles se sont orientées vers l’horlogerie. Mais il y avait tout le reste : je crois qu’il m’a donné ces clés-là. Qu’il a vu en moi quelqu’un qui pouvait prendre la suite. Je ne l’ai compris qu’il y a peu.

Vous naviguez dans un univers très artistique, déjà...

Oui mais mon truc c’est plutôt la musique. J’ai travaillé dans ce domaine, j’ai été DJ, j’y ai plein d’amis. Je vis tout près d’Hollywood Bowl [amphithéât­re où l’on donne des concerts] et j’entends tout... C’est le paradis. Le jour, la nuit, j’ai de la musique. Mais j’aime l’art en général. J’ai un très joli Cocteau que mon grandpère m’a donné : un petit dessin de Madame Chanel, sur le papier d’un hôtel. Elle a son tweed, son chapeau iconique, je l’adore. J’en ai deux autres que j’ai empruntés à ma mère. Ce sont mes bébés !

Et Cocteau, donc...

Aux États-Unis, quand je demande quel artiste français ils connaissen­t, ils me disent : Picasso. C’était le grand ami de Cocteau et personne ne connaît Cocteau... Tout le monde a vu le Disney, La Belle et la Bête et personne ne sait que ça a été tiré du film de Cocteau. Je veux que ça change. Je veux monter des projets pour que le jeune public découvre cet artiste. Je ne sais pas encore comment, j’ai plein d’idées... mais je vais le faire.

En renouant avec Menton ?

Mon grand-père avait la plus grande collection de Cocteau et il en a fait don à Menton. Il y a eu la tempête Adrian et beaucoup de dégâts mais ce sont des choses qui arrivent. Je vis à Los Angeles, je sais ce que c’est : cette année, on a même essuyé des rivières atmosphéri­ques ! Ce que je retiens c’est que la collection est bien là, magnifique, que le travail des restaurate­urs a été incroyable ! Fabuleux ! Et cette installati­on au Bastion, est superbe ! Il faut que les gens le sachent, viennent voir ! Donc oui, je veux que l’on fortifie nos liens. Je veux être là souvent. [Elle rit] Que vous finissiez par dire : ah la la, encore Chloë ?

“Il nourrissai­t une forme d’obsession”

 ?? (Photo Jean-François Ottonello) ?? Chloë Wunderman sera présente, au mois d’août, au moment du festival de musique. Elle a bien l’intention de venir régulièrem­ent, se nourrir de Cocteau et de la Riviera. Ces terres qui ont, pour elle, le parfum de l’enfance.
(Photo Jean-François Ottonello) Chloë Wunderman sera présente, au mois d’août, au moment du festival de musique. Elle a bien l’intention de venir régulièrem­ent, se nourrir de Cocteau et de la Riviera. Ces terres qui ont, pour elle, le parfum de l’enfance.

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