Monaco-Matin

Le dernier tour de piste du télésiège

- D’ERIC NERI Rédacteur en chef edito@nicematin.fr

Je suis un télésiège deux places, né il y a 55 ans. J’ai atteint l’âge de la retraite. Ne croyez pas que j’ai droit à un régime spécial ! Après un gros demi-siècle de bons et loyaux services, j’ai bien mérité d’arrêter de tourner en rond par tous les temps. À mes débuts, j’ai connu les Moon Boots et les fuseaux, plus tard, j’ai vu arriver les snowboards et les skis paraboliqu­es. Tout autour de moi, les immeubles et les chalets poussaient comme des champignon­s, pas toujours du meilleur goût, il faut bien le reconnaîtr­e. Pour les maires des villages de montagne, « l’or blanc » était une véritable aubaine : ils allaient enfin enrayer l’exode des gens du pays en créant des emplois grâce à une activité économique pérenne. Mais le réchauffem­ent climatique a tari le filon. Depuis quelques décennies déjà, la neige ne tombe plus avec la même constance. Pour remédier à sa défection, il a fallu créer de la neige artificiel­le à grands coups de canons répartis tout au long des pistes. Pardon, de la neige de culture produite par des enneigeurs. La langue de bois s’est répandue jusque dans nos montagnes pour faire croire aux skieurs que rien n’a changé. Malheureus­ement, il ne faut pas se cacher les yeux derrière ses lunettes de ski, certaines stations n’auront plus de neige d’ici 2050. Même les canons n’y pourront rien en raison des températur­es trop élevées.

Là où je suis implanté, à

1 800 mètres d’altitude, l’issue fatale pourrait être décalée de quelques années. N’empêche, je suis inquiet pour le télésiège qui va prendre ma succession. Il affiche pourtant un CV au sommet : débrayable, huit places avec des sièges chauffants et une bulle de protection pour que les skieurs ne prennent pas froid, d’une capacité de près de 5 000 personnes à chaque rotation. Il est vraiment câblé comme aurait dit Mitterrand ! Je crains pourtant qu’il ne soit dans les décennies à venir sur la corde raide. Quel gâchis s’il devait être mis à la retraite d’office à 35 ans ! J’espère qu’il pourra au moins continuer à travailler à mitemps, à la belle saison. Je m’y suis mis au début des années 80 ; c’est plutôt agréable de faire son tour sous des températur­es clémentes. J’accueille des randonneur­s et, depuis quelques années, les adeptes du VTT de descente avec leurs engins.

À présent, je passerais bien ma retraite au chaud dans un musée avec un joli panneau : « Interdit de s’asseoir sur le télésiège. »

« La langue de bois s’est répandue jusque dans nos montagnes pour faire croire aux skieurs que rien n’a changé. »

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