Poisson d’avril « J’AI TUÉ L’AMIRAL NELSON »
En ce 1er avril, l’extraordinaire supercherie historique d’un marin varois.
En 1826, paraissaient les « Mémoires de Robert Guillemard, sergent en retraite ». Un choc pour les historiens ! Ce livre apportait une réponse à une question qu’ils se posaient depuis près d’un quart de siècle : qui avait tué l’amiral Nelson lors de la bataille de Trafalgar ? Robert Guillemard, marin de Six-Fours, prétendait que c’était lui. Et il fournissait les détails. L’ouvrage passionna l’Europe entière. Goethe le commenta avec enthousiasme. L’ennui est… que c’était un faux !
On s’aperçut cinq ans plus tard de la supercherie. L’auteur finit par avouer. Il était comptable à Six-Fours. Mais la célébrité de Guillemard fut telle qu’une avenue à Six-Fours et une rue à Toulon portent toujours, aujourd’hui, son nom.
La mort de Nelson
Rappel des faits. Le 21 octobre 1805 a lieu la bataille de Trafalgar, au large de l’Espagne, entre la flotte franco-espagnole commandée par l’amiral Villeneuve et la flotte britannique sous les ordres de l’amiral Nelson. La victoire reviendra aux Britanniques, malgré leur infériorité numérique. À la suite de cela, Napoléon abandonnera tout projet d’invasion de l’Angleterre.
Malgré la victoire britannique, l’amiral Nelson a été tué.
Les choses se sont passées ainsi : à 4 heures du matin, après avoir écrit son testament, l’amiral anglais donne l’ordre d’attaquer. Ce héros qui a perdu un bras à la bataille de Ténérife est toujours sur le chemin de la guerre. Il se trouve en première ligne, surveillant lui-même les opérations depuis le pont de son bateau, le Victory. Villeneuve, lui, est à bord du Bucentaure, protégé à l’arrière par le navire le Redoutable. Une canonnade commence, d’une rare violence. De tous côtés, les marins tombent. Peu après 13 heures, Nelson lui-même est grièvement blessé. On le transporte sur le pont inférieur. Son chirurgien William Beatty s’occupe de lui. Pressentant qu’il va mourir, Nelson demande que l’on prenne soin de sa fille Emma. L’aumônier Alexander Scott est à ses côtés. Nelson meurt vers 16 h 30. Son corps sera placé dans un tonneau d’eau-de-vie afin d’être conservé et ne pas être jeté à la mer.
La version de Guillemard Voici le récit de Guillemard :
« Le Redoutable avait en face de lui un vaisseau anglais à trois ponts sur lequel se trouvait Nelson. Le Redoutable lui envoya sa première volée de boulets de canon. Le vaisseau anglais riposta. Déjà, des cris de douleur et de mort s’étaient fait entendre sur le pont et dans les batteries du Redoutable. Dès la première volée, un officier et plus de trente marins ou soldats étaient tombés morts ou blessés. Nos gabiers d’artimon avaient été tués. Deux matelots et quatre soldats, dont je faisais partie, reçurent l’ordre de les remplacer dans la hune. Comme nous y montions, un de mes camarades fut blessé à côté de moi, et d’une hauteur de trente pieds fut précipité sur le pont où il se fracassa la tête… Arrivé dans la hune, j’aperçus sur l’arrière du vaisseau anglais, à travers une épaisse fumée, un officier couvert de décorations, et n’ayant qu’un bras. D’après ce que j’avais entendu dire de Nelson, je ne doutai pas que ce fût lui. Il était entouré de plusieurs officiers auxquels il paraissait donner des ordres. J’aurais pu ajuster les individus, mais je tirai successivement sur les différents groupes. Tout à coup, j’aperçus sur le Victory un grand mouvement, l’on s’empressait autour de l’officier dans lequel j’avais cru reconnaître Nelson. Il venait de tomber, et on l’emportait recouvert d’un manteau. L’agitation qui se manifesta en ce moment me prouva que je ne m’étais pas trompé et que c’était bien l’amiral anglais… »
Ce récit de Robert Guillemard semble précis et cohérent. Tout le monde y a cru.
Trop d’inexactitudes
Une chose, aussi, était troublante : personne n’avait jamais pu rencontrer le « sergent Guillemard » !
Mais peu à peu, les Anglais ayant étudié à la loupe le reste du texte commencèrent à trouver des incohérences. Les experts français, s’intéressèrent, eux, à un autre passage du livre, concernant la mort ultérieure de l’amiral Villeneuve, qui aurait été victime d’un faux suicide commandité par Napoléon. Là, ils trouvèrent trop d’inexactitudes pour ne pas mettre en cause l’ensemble du livre. Une chose, aussi, était troublante : personne n’avait jamais pu rencontrer le « sergent Guillemard » ! La situation étant devenue intenable pour l’auteur du livre. Il finit par avouer la supercherie. Il le fit en 1830 dans les « Annales maritimes et coloniales ». Il s’appelait Alexandre Lardier, était un ancien agent comptable de la Marine, fils de notaire à Six-Fours, marin lui-même sous l’Empire et donc bon connaisseur du monde maritime. Aujourd’hui, lorsqu’à Six-Fours ou à Toulon, les gens passent par les rues Guillemard, savent-ils que le personnage dont elles portent le nom n’a jamais existé ?