Monaco-Matin

Antibes et Nice VUS PAR PAUL ARÈNE

- Pérégrinat­ion sur nos côtes d’un poète provençal du XIXe siècle.

Dans cette rubrique, nous publions des textes écrits sur notre région par de grands auteurs du passé.

Antibes

C’est charmant, Antibes : un port, un môle, un phare, tout comme au Bigorneau, mais un peu plus grand cependant ; et d’agréables remparts s’élevant juste ce qu’il faut pour offrir une belle vue aux promeneurs qui font leur tour quotidien des courtines.

Le petit phare est si petit qu’il n’éclaire guère que lui-même : le petit môle n’embrasse de la mer que ce qu’une si petite ville peut en désirer ; le petit port ne reçoit que des tartanes, et, de temps en temps, un brick goélette que les gens du pays – bons Provençaux – appellent invariable­ment brigoudett­e.

Il y a une place à Antibes, la Grand-place, avec une vieille tour sarrasine qui, s’ennuyant toute seule derrière les maisons, regarde, par-dessus les toits, tout le long du jour, ce qui se passe de neuf au café de la Marine ! Et quel silence partout !

À peine troublé dans les rues par le soupir qu’arrache la brise aux frêles palmes de quelque dattier penché sur le mur d’un jardin ou l’auvent d’une épicerie, et par le bruit de l’eau des lavoirs qui jaillit limpide, et qui s’en va, coulant en ruisseau au milieu des rues, s’ensanglant­e devant les fabriques de coulis, du jus des tomates pressées.

À la porte marine, sur le pré de la Prud’homie, une chaudière fume, pleine de tan pour teindre en brun les voiles. Des filets sèchent étendus. Amarrées le long du quai, les tartanes restent immobiles au-dessus de leur immobile reflet. Un bateau entre, tout se révolution­ne : les coques dansent, les mâts s’inclinent, et leur longue image s’en va serpentant dans l’eau claire avec une flamme rouge au bout. Mais cela sans bruit, sans qu’un cordage crie, sans qu’un bordage grince, comme si Antibes tout entière, la ville et le port, craignait de donner l’éveil au crabe velu ou au poulpe que guette là-bas ce vieux pêcheur, un roseau à la main et jambes nues dans l’eau. Puis de jolis noms : l’Ilette, la Gravette, diminutifs bien choisis pour une petite ville, et partout quelque chose d’aimable et d’intime rendu plus intime encore par le contraste du ciel profond, de la grande mer, des Alpes immenses et de Nice dont on aperçoit, làbas, visible dans une brume d’argent, entre les Alpes et la mer, la longue ligne de maisons blanches.

La pointe de l’Estérel

Au golfe, c’est pire ou c’est mieux ! Mais n’importe : au risque d’un coup de soleil, je veux m’assurer, sans chercher l’ombre des pins parasols et des tamaris qui pourtant ne manquent pas sur les dunes, je veux m’asseoir dans le sable tiède et fin et, de là, regarder les petites vagues innombrabl­es, accourant de l’horizon, déferlant avec un bruit de soie froissée et bordant, d’un trait d’argent mince et net entre l’azur de l’eau et l’or de la plage, la courbe de je ne sais combien de lieues qui va des blancs rochers calcaires du cap d’Antibes à la gigantesqu­e proue de porphyre rouge, à pic sur les flots, qu’on appelle la pointe de l’Estérel. Tout cela, d’ailleurs, n’est ni rouge ni blanc, tout cela est couleur de soleil, comme la robe de Peau-d’Ane : tout cela flamboie et scintille dans une brume transparen­te où semblent flotter les îles Sainte-Marguerite et Saint-Honorat, qui sont la Capri et l’Ischia de ce golfe Juan, plus petit, mais, sauf le Vésuve que remplace parfois sur les cimes du Tanneron un incendie de pins ou de chênes-lièges, presque

« Les coques dansent, les mâts s’inclinent, et leur longue image s’en va serpentant dans l’eau claire avec une flamme rouge au bout »

aussi beau que le golfe de Naples.

Nice

Nice, depuis deux jours, m’appartient, Nice vraiment belle aujourd’hui, mais dont la beauté disparaît tant que les étrangers grelottant­s envahissen­t ses promenades et que le bruit des conversati­ons cosmopolit­es empêche d’écouter sous ses palmiers, le long de la grève, la chanson alternée, si douce, de la vague infiniment bleue et des cailloux que le ressac roule. Dans cette Nice blanche, j’ai pu faire, à loisir, une promenade longtemps rêvée. Parti de Lympia, veuf, hélas ! Désormais (car les ingénieurs sont passés par là) et de la maisonnett­e en crépi jaune qui vit naître Garibaldi et de l’antique aiguade au fond du port où, près d’une source fraîche et claire, dans le gravier, des laveuses battaient le linge, j’ai contemplé le paysage immense, la mer et ses caps vaporeux, le cirque riant des montagnes, la vieille ville aux toits rouillés, ses clochers, son dôme qui luit, et, par-delà le Paillon, à sec, les constructi­ons neuves de la Nice élégante…

Nous avons encore la Jetée Promenade, manière de palais aérien construit sur de légers pilotis, en plein golfe.

J’y assistai à un bal, l’autre jour. Les jeunes Niçoises s’en donnaient à coeur joie.

« – Que voulez-vous, me dit une des plus enragées danseuses, l’hiver, quand les étrangers sont ici, il nous faut travailler jour et nuit ; c’est bien le moins qu’en été on se repose un peu. »

Et la charmante enfant, jusqu’au matin, ne manqua ni une valse, ni un quadrille…

« Tout cela flamboie et scintille dans une brume transparen­te où semblent flotter les îles Sainte-Marguerite et Saint-Honorat »

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 ?? ?? Antibes au XIXe siècle. (Carte postale ancienne Gilletta et DR)
Antibes au XIXe siècle. (Carte postale ancienne Gilletta et DR)
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Paul Arène. (DR)

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