Monaco-Matin

Quand le manager DONNE LE « LA »

Il met tout le monde au diapason pour que le rendu soit sans fausse note. Et si diriger une entreprise était une oeuvre symphoniqu­e ? L’avis du chef d’orchestre Paul-Emmanuel Thomas.

- KARINE WENGER kwenger@nicematin.fr

Aucun doute pour Paul-Emmanuel Thomas. « Le travail d’un chef d’orchestre a bien des similitude­s avec celui d’un chef d’entreprise. » Le directeur musical de l’Orchestra Classica Italiana de Turin – également premier chef invité de l’Orchestra Filarmonic­a del Piemonte et directeur artistique du Festival de Musique de Menton – était l’invité d’Opus Opéra – organisate­ur du Festival lyrique de Gattières dans les Alpes-Maritimes – pour débattre sur le « rôle étrange du seul musicien qui ne joue pas d’un instrument lors d’un concert ».

Osmose et intelligen­ce collective

On le voit faire de grands moulinets avec les bras, faire des mimiques, agiter une baguette dans une partition de gestes indéchiffr­ables pour le profane. Pour autant, on peut se demander à quoi sert vraiment un chef d’orchestre puisque chaque musicien connaît à la note près ce qu’il doit jouer. « Il doit l’inspirer, être dans son champ de vision pour le guider et lui donner un cadre global pour qu’il donne le meilleur de lui-même, explique Paul-Emmanuel Thomas. Le but étant que chacun trouve sa place afin de passer d’un génie individuel à un génie collectif. »

En un mot, à être performant en s’appuyant sur l’intelligen­ce collective. « Le chef d’orchestre est le seul à avoir une vue d’ensemble, reprend le musicien. Il métabolise les informatio­ns ; il est une antenne qui émet et reçoit du signal. » L’analogie vaut aussi dans le monde de l’entreprise. Le dirigeant, pour faire collaborer différents services, doit être très clair sur la finalité des missions de tous les talents. Qui fait quoi pour quel résultat. Charge aux collaborat­eurs de s’entraîner, développer leurs compétence­s au service d’une oeuvre commune. « Il y a une différence entre connaître parfaiteme­nt sa partition et s’intéresser à celle de son voisin. » Cette porosité entre les services permet d’ailleurs une meilleure entente, voire productivi­té. En partageant les informatio­ns, le manager s’assure ainsi que chacun prenne le relais et soit force de propositio­ns. D’où la nécessité de (re) connaître l’expertise de chacun. « De conduire, comme l’indique mieux le mot chef d’orchestre en anglais “conductor” mais pas de diriger puisque chaque musicien est un expert. »

Avoir l’oreille pour éviter la cacophonie

Loin d’être omniscient, « Il ne doit pas se substituer à leur savoir mais écouter leur propositio­n artistique et savoir dépasser les visions antagonist­es qui peuvent naître. Dans un ensemble de cent musiciens, reprend Paul-Emmanuel Thomas, il est illusoire de vouloir diriger tout le monde. En revanche, il faut se demander à qui le chef d’orchestre est utile, passer d’un pupitre à l’autre et aider ceux dont le niveau est le plus faible pour ne laisser personne sur le bord de la route. » Surtout, il faut

de la diversité. « On ne peut avoir que des violoniste­s dans un ensemble », sourit-il.

Comme dans l’entreprise, le style du « conducteur » a évolué au fil des années, passant d’un style très directif à une direction plus souple où chacun peut apporter sa touche personnell­e.

Pour ceux qui se sont toujours demandé à quoi correspond­aient les mouvements du chef d’orchestre, « Le bras droit correspond au côté rationnel, donne le tempo, le ton, le mouvement, coordonne les musiciens tandis que le gauche, celui du coeur, indique les émotions à retranscri­re en musique » : un subtil cocktail de technique et d’inspiratio­n. « Ce qui explique pourquoi une même oeuvre n’aura pas le même rendu ; cela dépend de la personnali­té du chef d’orchestre : une partition

est une promesse de musique. » Attention, les mots sont importants mais la communicat­ion non verbale l’est tout autant. « On sousestime l’impact de la gestuelle. Parfois, un chef d’orchestre n’a que dix heures de répétition avec des musiciens qu’il ne connaît pas pour jouer un concert symphoniqu­e de deux heures. » Que dire quand il s’agit de diriger un ensemble au Japon ou en Islande comme cela est déjà arrivé à Paul-Emmanuel Thomas. Qui conclut « Le monde de l’entreprise aurait tout à gagner de s’inspirer de l’univers de la culture qui est plus à l’écoute des talents individuel­s pour une oeuvre commune. » Quand l’osmose entre chef d’orchestre et musiciens existe, le public, lui, ne s’y trompe pas.

 ?? (Photo K. W.) ?? « Le monde de l’entreprise aurait tout à gagner à s’inspirer de l’univers de la culture qui est très à l’écoute des talents individuel­s », affirme le chef d’orchestre Paul-Emmanuel Thomas.
(Photo K. W.) « Le monde de l’entreprise aurait tout à gagner à s’inspirer de l’univers de la culture qui est très à l’écoute des talents individuel­s », affirme le chef d’orchestre Paul-Emmanuel Thomas.

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